La Citoyenneté : aspects légaux et culturels
Le terme citoyenneté peut avoir de nombreux sens :
1. un statut légal formel qui lie des individus à un État ou à toute autre entité politique établie(par exemple, l’Union Européenne ou une province fédérale) ; 2. un lot de droits et devoirs légaux associé à ce statut, dont des libertés civiles, des droits à une représentation démocratique, et des droits sociaux à l’éducation, à la sécurité sociale et à la protection contre les risques liés à lapauvreté ; 3. une gamme de responsabilités, vertus, et actions qui soutiennent le gouvernementdémocratique du peuple par lui-même ; 4. une identité collective qui peut être partagée quellesque soient les différences de classe, de race, de genre, de religion, d’origine ethnique, ou de modede vie (Bauböck : 2008 : 3).
Bauböck relie les aspects légaux et politiques du statut et de la participation à desphénomènes culturels et identitaires qui ont toujours été mêlés dans le cadre des États-nationsmodernes (Bader 1997, Fox 2005). En effet, divers efforts ont été faits afin de résoudre la tension constante entre les aspects juridiques et politiques de la citoyenneté et leurs fondementsidentitaires et culturelles via l’établissement de la nation : certains États étaient fondés sur lesliens entre le statut politique et l’origine ethnique, alors que la plupart des républiquesprétendaient être “culturellement neutres”. Toutefois, l’immigration et les interrelationsculturelles transnationales sont venues relativiser de telles typologies ; et la globalisationéconomique et culturelle a définitivement outrepassé les frontières légales et politiques des Étatsnations souverains.
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Avant même la formation de l’État-nation moderne, déjà, des aspirations cosmopolitescommencaient à émerger : Me velle civis totius mundi non civis oppidi fut la réponse que donna,au 16e siècle, Érasme de Rotterdam au chef de file de la Réforme suisse Ulrich Zwingli qui luioffrait la citoyenneté à Zurich. On dit que le philosophe humaniste lui répondit qu’il ne voulait pasdevenir le citoyen d’une seule ville, mais du “monde entier”. Être citoyen du monde, en ce sens,a toujours été l’un des rêves de l’humanité, un rêve considéré comme étant aussi honorablequ’irréalisable. Aujourd’hui, la globalisation n’a pas seulement rasé la forteresse de l’État-nation(comme les progrès de la balistique avaient rasé les murs fortifiés des villes-états médiévales), elle a également rendu possible la réalisation de ce qu’on appelle la citoyenneté transnationale.Historiquement, les nations ont fourni le cadre de la communauté et de la société modernes ; ellesont défini (et limité) l’espace de communication au sein duquel les partis politiques et les groupesd’intérêts en tout genre agissaient, créant ainsi les conditions nécessaires à une représentationégale et à une participation civique. Au sein de l’État-providence, de même, l’intégration dans oul’exclusion d’individus hors du système de soutien mutuel étaient décidées dans les limites de cecadre national. Mais le principe même d’intégration, par ses tendances universalistes, a aidé lesmigrants à obtenir le très estimé statut de résidents, sans qu’ils soient formellement citoyens. Lacitoyenneté nationale d’un individu a dès lors été détachée de son droit à avoir des droits, dans lamesure où les lois internationales – par exemple pour protéger les travailleurs migrants – et lesconventions sur les droits humains ont été reconnues comme des sources plausibles etindépendantes de droits individuels et collectifs. La question en jeu est : entre le patriotisme localet les marchés globaux, où se situe l’homo politicus?
Citoyens du monde : aspects et moteurs de la transnationalisation
Le dictionnaire Oxford situe l’apparition du terme “transnational” aux alentours de 1920,avec à l’appui une citation d’un texte économique qui décrit l’Europe après la Première GuerreMondiale comme étant caractérisée par une “économie internationale, ou plus exactementtransnationale”. Il est intéressant de remarquer que le dictionnaire fournit une autre source quidésigne l’Église chrétienne comme le seul pouvoir qui pourrait créer les conditions nécessaires àun “régime politique démocratique transnational et non-racial”. Un auteur, qui s’est intéressé à”l’Amérique transnationale” dès 1916, n’y est pas mentionné : Randolph S. Bourne. Alors que lesEuropéens se livraient une guerre sauvage, ce critique littéraire et pacifiste new-yorkais insistaitsur le potentiel spécifique des États-Unis, un élément qui, selon lui, pouvait servir de point dedépart à une future société mondiale. Les États-Unis, en tant que “premier nouveau pays” pourles immigrants, ne pouvaient évidemment pas avoir recours aux fondements – qu’ils soientethnico-culturels ou étatico-bureaucratiques – sur lesquels les Européens construisaient leursnations et leur identité collective. D’un autre côté, Bourne refusait l’idée alors courante d’un“melting pot” :
“Nous sommes tous nés d’étrangers à l’étranger ou descendants de parents euxmêmesnés à l’étranger, et si des distinctions doivent être établies entre nous,elles devront logiquement se fonder sur quelque autre critère que celui del’indigénat.”
Il ne faudrait pas chercher les fondations de l’identité collective américaine dans un passémystifié, comme c’est le cas du nationalisme européen, au contraire, “nous devons commettre leparadoxe selon lequel notre tradition culturelle américaine est ancrée dans le futur.” Bourne en atiré la conclusion que “l’Amérique va être non pas une nationalité mais une trans-nationalité, leva-et-vient d’une navette entre différents pays, tissant des fils de toutes les tailles et de toutes lescouleurs” (Bourne 1916 : 87, 92, 96).
Au début du 21e siècle, “transnational” est devenu un terme technique mais aussi un termeà la mode. On l’utilise particulièrement en référence aux organisations internationales et aux”multis” (sociétés transnationales ou STN). En accord avec le sens premier du préfixe latin”trans”, il va au-delà des transactions diplomatiques habituelles entre États-nations souverainset de la traditionnelle division du travail entre “économies nationales” ; l’unité de mesure pourl’analyse, et pas seulement dans les relations internationales, est devenue Weltgesellschaft(société mondiale, voir Luhmann 2000). Cela n’a pas provoqué “la fin des États-nations” ;cependant, la souveraineté de l’État telle que nous la connaissions est devenue “anachronique”(Czempiel 1969). Depuis une macro-perspective ou un point de vue surplombant sur l’économiemondiale, le regard dérive jusqu’au micro-niveau du Lebenswelt (le monde vécu) où nous pouvonssuivre les chemins transfrontaliers le long desquels les personnes et les objets, les métaphores etles symboles, les histoires de vies individuelles et les biographies collectives sont transférés. Il esttemps que la science sociale et les acteurs politiques reconnaissent ce “changement deparadigme” qui, de relations internationales nous fait passer à des relations transnationales, cequi revient à reconnai^tre également qu’une nouvelle forme de politique mondiale est en traind’émerger : la citoyenneté (et la gouvernance) au-delà de l’État-nation.
Conditions économiques et culturelles préalablesà la transnationalité
Depuis le début, les sociétés transnationales, avec leurs transactions commerciales etfinancières à l’échelle mondiale, ont été les actrices les plus puissantes et les plus évidentes de larelativisation de l’État-nation. Un marché a existé à l’échelle mondiale dès que les voiliers et lestechniques de navigation ont rendu possible le commerce intercontinental, l’échange de monnaieet l’investissement ; la Hanse ou l’installation de grandes maisons familiales chinoises à travers le Pacifique démontrent que la subversion postmoderne des frontières a eu ses précurseurs prémodernes.Toutefois, le “manque de patriotisme” (Vaterlandslosigkeit , Karl Marx) inhérent ducapital s’est entre-temps développé au-delà des relations usuelles entre compagnies-mères etfiliales à l’étranger ; des conglomérats économiques et financiers ont fusionné de telle sorte que,leur siège social mis à part, ils ne sont plus rattachés à une nation en particulier. Le commerce enligne, les transactions entre entreprises y compris, a fortement contribué à radicaliser cemouvement de dématérialisation. Bien sûr, les perspectives de cette nouvelle économie doiventêtre considérées avec prudence, mais les frontières étatiques et culturelles ne jouent déjà plusqu’un rôle très annexe au sein de ses branches dominantes – les télécommunications, les servicesde santé, et les biotechnologies. L’élimination des frontières par l’intermédiaire du capitalismedigital a déjà des conséquences considérables en ce qui concerne les taxes et les douanes – qui,après tout, sont les premières sources de revenus des États-nations et même de communautéséconomiques comme l’Union Européenne. Les principes globaux du management et des servicessont liés les uns aux autres par l’harmonisation du commerce et de la loi économique qui s’opèrepar le biais de sociétés juridiques, de compagnies d’audit et de cabinets d’experts. Cesphénomènes ne s’étendent pas nécessairement de facon globale ; on observe plutôt unerégionalisation (au sens de “continentalisation”) des domaines économiques (Accord de LibreéchangeNord-Américain, Union Européenne, ASEAN, Mercosur, CEDEAO) ou une subdivisiongéographique, comme c’est le cas du conseil exécutif de l’ICANN et d’autres institutionstransnationales semi-privées.
Communautés migrantes
Ces exemples prouvent que des espaces transnationaux ont émergé. Il y a, au travail dans lesinterstices, toute une classe d’hommes d’affaires, un conglomérat aux contours lâches dedirigeants, consultants et apporteurs d’affaires qui ont des liens plus étroits avec des compagnieset des concepts (ainsi, la “culture Apple” et le “mouvement Linux”) qu’avec des pays d’origineet des langues maternelles. La mobilité transfrontalière n’est pas limitée aux échelons supérieursdu marché du travail ; même les travailleurs non-qualifiés, au statut de résidents précaires, sontdevenus au cours du temps pleinement mobiles et multiculturels. Cette Völkerwanderung(migration de masse), complétée par les touristes étrangers, les actifs vivant loin de leur lieu detravail, et les retraités en route vers le soleil du Sud, a déclenché une profonde réflexion à proposdes “espaces sociaux transnationaux” (Faist 2000). Les nomades d’aujourd’hui sont différents deleurs précurseurs auxquels nous sommes habitués depuis longtemps et dont sont emblématiques les figures d’hommes et de femmes pris dans les torrents de l’immigration aux USA, au Canada,en Australie et en France au 19e siècle et au début du 20e. Aujourd’hui, le “pays d’origine” et le”pays d’accueil” sont plus fortement reliés l’un à l’autre et entre eux les réseaux sont bien plusdenses. Grâce aux moyens de transport bon marché et aux facilités de communication, sansmême mentionner la diffusion mondiale de la télévision et des programmes radio “du pays” parcâble, satellite et internet, il ne semble plus nécessaire de s’installer de facon permanente. Dans ladiaspora, les valises étaient toujours faites et prêtes mais habituellement, elles restaient dans legrenier ; et les navettes de cette époque – par exemple entre le Lower East Side, à New-York, etl’Italie du sud ou entre Chicago et Varsovie – manquaient de cette routine émotionnelle quicaractérise aujourd’hui la mobilité transnationale, mais surtout, elles n’avaient pas, sur la structurede sociétés entières, les effets que les communautés transnationales sont susceptibles d’avoiraujourd’hui (Ong, 1999, Schmidtke/Ozcurumez 2007).
On peut désormais, de facon plus précise, définir comme transnational un domaine social quidéborde l’affiliation nationale et au sein duquel un nombre croissant de personnes mène une sortede double vie. L’expropriation des fermiers qui arracha la population agricole à la “terre” pourles conduire dans les villes industrielles trouve son équivalent moderne dans une sorte”d’expropriation des frontières”. Cela met en doute le “modèle du conteneur” proposé par lasociologie ; ses métaphores spatiales qui faisaient référence à des sociétés nationales closessemblent aujourd’hui dépassées. Parce que les transmigrants vivent sur de longues périodes dansau moins deux endroits, parlent fréquemment au moins deux langues, possèdent en masse aumoins deux passeports et se déplacent dans un sens et dans l’autre à travers des foyers “prêts àl’emploi”, des réseaux de relations et des espaces de communication. Selon cette perspective, les”routes” empruntées par les migrants ont plus de poids pour les études culturelles que les”racines” de l’identité personnelle de l’un ou l’autre au sein des collectivités nationales (Clifford1997, Hannertz 1996). Tout cela, sans-doute combiné avec et couronné par le World Wide Web –le moyen de transnationalisation par excellence – nous conduit à une dématérialisation qui, aucontraire de l’émigration traditionnelle, rend possible une “proximité virtuelle”. Cela permet auxcommunautés de se maintenir même sans se rencontrer régulièrement, à mesure que les pôles – “au pays” et “à l’étranger” – dont l’existence est déjà limitée dans le temps, deviennentfinalement presque interchangeables.
Pluralisme religieux
D’un monde à l’autre les vagabonds emportent généralement dans leurs affaires leurs dieux etrites d’origine, car les hommes et femmes supposés avoir perdu leurs liens sont très susceptiblesde chercher à se “rattacher” (en latin, re-ligere), ce qui est la traduction littérale de religion. Les communautés religieuses ont toujours excédé les frontières nationales ; la croyance spirituelle estparticulièrement adaptée aux “étirements” et à la reconstruction dans ce qui, à la suite del’éparpillement des communautés juives et des premiers chrétiens, est connu comme “ladiaspora”. Alors qu’une diffusion supra-locale des idées et des communautés religieuses n’est pasnouvelle sur le principe (l’Église catholique peut être considérée comme le tout premier acteur dela globalisation), la transnationalisation de la religion n’est plus comparable à la christianisation ;ce n’est pas non plus la laïcisation – qui est devenue emblématique des sociétés chrétiennesd’Europe – qui s’est imposée comme modèle global.
Bien que la vie religieuse, ainsi que les cultures dominantes qui sont fondées sur elle, sevoient relativisées par la migration transnationale, l’émigration peut raviver les sentimentsreligieux d’appartenance. Par rapport à la société mondiale, la religion fait avancer la globalisationprécisément en résistant aux effets profanes de la globalisation économique et en formant descongrégations particularistes. La diaspora, jadis vécue comme catastrophique, n’est plus uneexception parmi le pluralisme religieux de notre époque ; mais en même temps, la protection de laliberté religieuse a fait des progrès dans le monde entier, de telle sorte que des symboles religieuximportés refont leur apparition dans l’espace public de sociétés laïcisées. Ainsi, la globalisationn’est pas limitée aux fusions entre compagnies, à la communication par internet et auxtransactions financières. Les communautés religieuses, elles aussi, voyagent dans le monde entieret pas seulement grâce au soutien organisationnel et fonctionnel des Églises du monde, ellesprofitent aussi et surtout de mouvements de base décentralisés, comme une société civilereligieuse non-officielle, hétérodoxe et auto-fondée.
Cultures de masse populaires et hybrides
Ce qui peut être dit de la coexistence dans le domaine religieux vaut également pour ladiffusion et le mélange de sociétés multiculturelles de facon générale. La “world music” (parexemple dans l’oeuvre de Peter Gabriel ou du label Putumayo) – un collage de matériaux diversqui résultent souvent dans la fusion de styles totalement opposés – est caractéristique de cemonde de traits d’union. Dans ces mélanges, que l’on décrit comme “hybrides” en référence auxcroisements biologiques, des éléments croissent ensemble de telle sorte que pas une oreille depuriste n’approuverait. Mais ceux qui proposent ces mélanges musicaux et culturels signalentl’existence de combinaisons plus ou moins réussies qui remontent jusqu’aux origines de l’art. Eneffet, de facon générale, la créativité des cultures ne se fonde jamais sur un maintien à distance de l’étranger. Elle s’enracine plutôt sur des emprunts “extraordinaires”, sur des appropriationsmimétiques et un échange constant d’inventions, sur l’innovation dans les marges et l’assimilationde ce qui semblait inassimilable. Vus ainsi, les phénomènes de “world culture” se contententd’indiquer une nouvelle étape dans l’hybridation de cultures hybrides. Tous les efforts pourrestaurer le canon sont vains et les barrières entre la culture d’élite et la culture populaire ontégalement été rasées (Appadurai 1996, Tomlinson 1999).
La combinaison “sauvage” d’artefacts, de symboles et d’identités a commencé lorsque lemoyen fondamental d’expression et de communication, le langage lui-même, s’est trouvé”créolisé” par contact entre deux groupes ou plus de locuteurs. Le processus d’assimilation agénéralement été asymétrique et souvent violent mais, en même temps, les constellationshybrides sont le reflet de l’interdépendance croissante de la société mondiale qui, bien sûr, excluttout aussi souvent qu’elle inclut. Au cours de ce processus, des éléments de toutes les culturessont dissociés de leurs racines et de leurs contextes locaux ; on a souvent interprété cela commeune “standardisation” et, puisque les origines de la culture populaire hégémonique peuvent êtreaffectées aux États-Unis, comme une américanisation. Il y a beaucoup à dire en faveur de cettehypothèse si l’on observe le processus de sélection et les modes d’influence de l’industrie culturelledont les effets reviennent parfois à une sorte d’extinction culturelle ; d’un autre côté, répondreaux demandes structurelles de la société mondiale ne conduit pas à une totale uniformitéculturelle.
Selon la terminologie de l’anthropologie culturelle, la culture doit être concue comme liée etimbriquée, et donc, comme un domaine qui ne peut être cultivé qu’en lien avec une époque et unlieu particuliers. L’économie et la technologie globales requièrent et produisent des phénomènesuniversels comme l’argent et les systèmes d’experts standardisés, qui sont nécessairementindifférents aux origines locales. L’abstraction est la seule chose qui permette la communication etcrée la confiance. Et même si des enclaves culturelles résistent bel et bien à la standardisation, ilest désormais rare que cette distanciation atteigne la puissance d’une résistance fondamentalistedont le but serait de préserver sa propre culture. Parce qu’au cours des “guerres culturelles”,aussi mis à mal ou mis en compétition qu’ils puissent être, les désirs de distinctions restent aufinal orientés vers une structure de différences communes. La culture populaire de masse rendpossible un voyage dans le temps et dans l’espace sans que les spectateurs et auditeurs aientbesoin de sortir de chez eux. Pour la première fois, des “événements majeurs” – parmi lesquelsdes conflits armés, des compétitions sportives et l’apparition de vedettes du divertissement –atteignent des publics à l’échelle mondiale grâce à des média de masse comme CNN et MTV. Il y ades sujets qui captivent littéralement le monde entier et le public de ces mises en scène mondialesaugmente. Mais cette concentration thématique s’accompagne d’une fragmentation des publicslocaux, ce qui, encore une fois, illustre la dialectique de la mondialisation et de la localisation. Lesmédia sociaux sont la dernière preuve de cette glocalisation de la communication.
La citoyenneté transnationale : construire un demos au-delà des frontières
Ces tendances ont toutes contribué à relativiser la définition traditionnelle de la citoyennetécomme étant liée aux droits et devoirs déterminés par un État-nation. Si la nation, associée augouvernement (les mécanismes des agences bureaucratiques et de la représentation populaireinclus), a été le pivot de l’identité personnelle et la condition de l’affiliation et de l’appartenancesociales depuis le 19e siècle, au début du 21e siècle des formes d’appartenances et des typescommunautaires flexibles qui dépassent le cadre de l’État-nation défient la représentativité et lalégitimation de la règle démocratique. Aujourd’hui, la question est la suivante : entre cultureslocales et marchés globaux, comment peut-on construire un demos transfrontalier ?
La transnationalisation de la citoyenneté par la migration
L’émigration et l’immigration demeurent les causes principales de l’incompatibilité croissanteentre des identités collectives culturelles et politiques : les émigrants du pays A ont tourné le dosà leur ancienne patrie et se sont créé de nouvelles affinités au sein du pays B même si nombred’entre eux ont conservé des liens émotionnels avec leur pays d’origine (A) et tendent à s’assimilerdans le pays de leur choix (B) par l’intermédiaire de communautés compatriotes du pays A. C’estégalement vrai des immigrants : alors qu’ils centraient leurs vies sur un nouveau lieu (B), ilsconservaient des loyautés plus ou moins solides envers leur “heimat” (A), envoyant de l’argentchez eux et se maintenant informés de ce qui se passait là-bas, tout en continuant à parler leurlangue maternelle (van Bochove et al. 2010, Kaya 2012).
Comme je l’ai déjà évoqué, les compagnies aériennes à bas coûts, les moyens decommunications produits en masse avec une sphère d’influence mondiale et les contactspersonnels par le biais des média sociaux sont allés encore plus loin dans la relativisation de la dichotomie entre les pays A et B ; des communautés transnationales réelles ont fait leurapparition. De ce fait, des expatriés pourraient souhaiter participer à la vie politique de leurancienne patrie et pourraient même être tentés de voter dans leurs anciennes circonscriptions, ou en tant que groupe particulier de citoyens non-résidents vivant à l’étranger, et les immigrantspourraient réclamer le droit de vote, entre autres droits de participation, pour dépasser leur statutde résidents non-citoyens (Bauböck 2005, López-Guerra 2005, Rubio-Marin 2006, Owen 2011). En tant qu’immigrants ici (A) et expatriés là (B), ils pourraient même avoir l’idée d’être membres de deux “demoi” et de participer à l’agenda politique de deux États. Cette possibilité a étéprécisément celle qui a rappelé le fantôme maléfique de la “… yauté” dans les esprits desagences administratives du système westphalien d’États-nations différents et incompatibles(Benhabib 2006, Schmidtke/Ozcurumez 2007).
Néanmoins, les États-nations et les élites politiques ont accepté non seulement l’inclusionélectorale des citoyens vivant à l’étranger (qui est sous-tendue par des conceptions ethniques del’appartenance à une nation au-delà du territoire étatique) mais aussi les droits électoraux desrésidents non-citoyens. Une raison à cela est la désirabilité de l’intégration politique desimmigrants, sur fond de droits civils et sociaux ; d’autres explications peuvent être tirées de lienshistoriques (ainsi, un passé commun et immémorial, le Commonwealth, etc.), d’affinités culturelleset d’une communauté linguistique. Bauböck (2005) a dressé le schéma de quatre positions à lafois typiques et idéales s’exprimant en faveur ou en défaveur de cet affaiblissement des conceptstraditionnels de citoyenneté nationale :
(i) Les républicains civiques affirmeraient que “seuls les citoyens qui sont présents ausein de l’entité politique peuvent se gouverner eux-mêmes en participant à la fabrique deslois” (685) ; une république peut être ouverte aux nouveaux venus mais ceux-cidevraient faire la demande des droits citoyens complets par la naturalisation et enabandonnant leur(s) ancienne(s) citoyenneté(s).
(ii) Les nationalistes ethniques “soutien[draient] l’inclusion des expatriés maisrejette[raient] les droits politiques pour les résidents non-citoyens” parce qu’ilsconcoivent la nation comme une communauté de culture.
(iii) Au contraire, les démocrates libéraux assureraient que le droit de vote des expatriésrisquerait d’affaiblir “l’intégrité du processus démocratique puisque ceux qui vivent àl’étranger de facon permanente ne devraient pas pouvoir influencer la fabrique de loisauxquelles seuls les résidents intérieurs seront soumis” (686, cf. López-Guerra 2005) ;cependant, ils seraient en faveur du droit de vote pour les non-citoyens simplement parceque les résidents à long-terme sont effectivement soumis à l’autorité politique locale et àses lois, en conséquence les non-citoyens devraient avoir “des droits égaux à lareprésentation et à la participation à la fabrique de ces lois” (686).
(iv) Les cosmopolites réclameraient le droit de vote et de participation sur le fondementdu principe du “tous concernés” : quod omnes tangit ab omnibus approbetur . Dans cecas, le demos n’est pas une entité donnée de personnes mais est construit parl’intermédiaire de ces décisions qui ont “un impact profond sur les intérêts de lapopulation d’un autre pays” (686).
Comme il est possible de s’opposer à chacun de ces quatre concepts, Bauböck introduit uncinquième principe qu’il appelle “principe de partie prenante de citoyenneté” (stakeholdercitizenship ; 2008). Il implique un mélange de principes républicains et libéraux-cosmopolites. Ence qui concerne le premier, il retient l’idée que la citoyenneté garantit le statut d’appartenancetotale à une entité politique autogouvernée et que le droit de vote doit normalement être lié à untel statut. En accord avec les principes libéraux-cosmopolites, le principe de partie prenante decitoyenneté donnerait aux personnes concernées la possibilité de revendiquer de facon subjectiveleur appartenance et leurs droits électoraux. Bauböck fournit une conclusion équilibrée :
“Être partie prenante devrait… être moins vague et englobant qu’avoir desintérêts en jeu. […] [Cela] nécessiterait l’inclusion politique des immigrants, mais– à la différence de l’inclusion déduite de la simple sujétion territoriale – celapourrait justifier qu’une résidence à long-terme sur le territoire demeure unecondition préalable et qu’il soit exigible des immigrants qu’ils fassent le geste dedemander la naturalisation au lieu de devenir automatiquement citoyens. Êtrepartie prenante permettrait également (mais cela ne serait probablement pasnécessaire) d’étendre le vote aux expatriés, mais cela exclurait ceux qui n’ontjamais vécu dans le pays et ne donnerait pas accès à la citoyenneté auxpersonnes dont les intérêts se trouvent dans des investissements économiques oul’évasion fiscale, mais ne sont pas résidents permanents” (2005 : 686).
La transnationalisation de la citoyenneté par le fait d’être partie prenante et laparticipation
L’émigration et l’immigration ont donné naissance à une révision des interprétationscommunes de la facon dont un peuple se constitue et de ce que la démocratie, en tant quepouvoir du peuple, signifie. La littérature distingue deux principes – le principe du “toussoumis” qui a pour idée dominante que “toute personne soumise à une règle doit également enêtre l’auteure” ; et le principe déjà évoqué du “tous concernés” selon lequel “toute personneconcernée par une décision politique devrait, directement ou indirectement, avoir son mot à direquant à son élaboration” (Mäsström 2011 : 120, 117). La première règle prend sa source dans unpeuple donné, que ce soit le (très sélectif) demos de la polis grecque ou le (plus ouvert) demosd’une république moderne. La deuxième règle déplace l’objectif d’un peuple donné au sein desfrontières d’une polis et d’un État-nation, vers la formation d’un peuple au sein d’une démocratiedont l’agenda politique devient transnational de même que transculturel. Cela ne signifie passeulement que “le demos doit s’étendre à tous les résidents sur un territoire particulier” (Gould2006 : 49), mais étend la communauté des citoyens au-delà des murs de la cité et des frontièresde l’État. Le principe du “tous concernés” négocie et politise les limites du processus de prise dedécisions.
En ce qui concerne la dilution des souverainetés nationales, toute régulation de la citoyennetétend à être conservatrice et exclusive, les procédés de naturalisation dans la plupart des Étatsdemeurent rigides et excluant. Comme on l’a déjà montré, l’immigration massive a mis en doute lestatut accepté de citoyenneté nationale et le nombre de personnes possédant des nationalitésmultiples a crû largement en Europe. Cette croissance de la possession de plus d’une nationalitéest, cependant, regardée avec suspicion par de nombreux États, qui continuent de croire que celava susciter des conflits de loyauté. Les enfants des immigrants sont donc souvent forcés, une foisadultes, à choisir entre leurs origines culturelles et géographiques. Par exemple, les jeunes adultesde la seconde génération des résidents turcs en Allemagne vont devoir choisir s’ils deviennentturcs ou allemands ; une décision qui pourrait, au final, les conduire à perdre leur citoyennetéeuropéenne. Phénomène qui, bien sûr, n’a pas lieu, au sein des familles qui mélangent lescitoyennetés européennes et où les enfants, qu’ils décident d’être francais, hollandais, allemandsou britanniques, n’en demeurent pas moins citoyens européens.
Néanmoins, le monopole national sur la citoyenneté s’affaiblit progressivement. Desarguments pratiques et normatifs en nombre existent en défense de l’octroi de citoyennetéstransnationales et du développement des droits de vote tant pour les résidents non-citoyens quepour les citoyens non-résidents. Les conséquences économiques et culturelles de la globalisationsont en train de créer progressivement des scénarii où, dans de nombreux domaines, desétrangers résidents à long-terme auront la possibilité de revendiquer une participation plus grandeaux événements autour d’eux. Pendant ce temps, dans les études de droit et au sein des sciencessociales, l’expression “droits globaux” gagne de l’influence. Les droits globaux sont des droitsgarantis à chacun indépendamment de l’endroit où il se trouve et soutenus par une large gammede principes de droits humains. Certains de ces principes eux-mêmes sont en contradiction avecdes lois nationales et pourtant, leurs conséquences ne peuvent souvent, comme dans la RéformeAllemande du Droit d’Asile de 1992, être réduites que par le biais de limitations procédurales.
De tels développements internationaux suggèrent que des réformes du régime de lacitoyenneté étatique sont nécessaires depuis longtemps et que ces réformes devraient conduire àdes statuts judiciaires plus complets et plus flexibles dans les peuples du monde entier. Bauböck aproposé à de nombreuses reprises le “principe de partie prenante de citoyenneté” comme unconcept plus large pouvant succéder à l’idée de citoyenneté : “Sont partie prenante […] tous lesindividus pour lesquels le futur de l’entité politique présente des enjeux personnels du fait descirconstances de leurs vies.” Le principe surnommé “tous concernés” va encore plus loin. Ilsous-entend que nous pouvons tous être concernés par des catastrophes globales et que, enconséquence, nous sommes en effet “tous concernés”. Et si le rôle de la nature en tant queprotagoniste peut être reconnu dans ce sens, alors pourquoi ne pas prendre en compte laproposition selon laquelle, toutes les formes de conscience non seulement humaines, mais aussinon-humaines, ainsi que d’autres objets ou phénomènes devraient être regroupés dans un”parlement des choses” (Latour) ? De plus, là où les droits des générations futures ont un rôle àjouer dans les prises de décisions contemporaines, on s’est interrogé sur la possibilité d’un droit devote spécifique pour les enfants que leurs parents exerceraient in absentia (Thiemann/Goerres2009).
Une remarque sur l’inclusion spatiale : supposons que nous ne considérions pas seulementl’expression “société globale” comme une métaphore (comme le font la majorité dessociologues), mais comme une réalité créée par les communications, les transports et la libertéd’échanger au sein d’une sphère sociale globalisée. On peut alors affirmer que l’espace horsduquel on pourrait exclure quelqu’un cesse par conséquent d’exister et que les exclusionssociétales deviennent alors complètement injustifiables (Stichweh 1997). Stichweh en a conclu queles exclusions, aujourd’hui, ne peuvent être qu’internes et temporaires et qu’il existe unedynamique au sein de laquelle un acte d’inclusion se produit simultanément à chaque tentatived’acte d’exclusion. Cela est plus clairement représenté dans le contexte d’institutions totales. Parexemple, dans une prison, les criminels sont retirés hors de la société au sein de laquelle ilsdevraient normalement exister, toutefois, la plupart du temps, cela a lieu dans le but affichéd’assurer leur réintégration finale au sein de la société à l’écart de laquelle ils avaient ététemporairement placés.
Une autre remarque sur l’inclusion générationnelle : l’hétéronomie potentielle des générationsfutures sera, en dernier recours, déterminée par leurs propres circonstances futures. Les gensd’aujourd’hui ne peuvent tout simplement pas estimer ce que les générations à venir feront etsont tout aussi incapables d’adapter ce qu’eux-mêmes devraient faire ou accepter qu’on leurfasse. Le concept de développement durable (et aussi celui d’équilibre du budget tel qu’il a étérécemment délimité au sein du pacte fiscal dans plusieurs États de l’OECE) a, toutefois, ouvert laporte à une condition importante. Concrètement, il est recommandé à des individus qui vivent ausein d’une société globale, dynamique et en croissance, non seulement de ne pas utiliser une plusgrande part de leurs ressources que ce qui peut être remplacé de facon réaliste, mais aussi des’abstenir de faire peser un tel poids sur les générations futures, car la dangereuse etpotentiellement destructrice goutte d’eau a déjà été versée et le vase a débordé.
Le programme pour le stockage “temporaire” des déchets atomiques, un enjeu pour laplupart des États de l’UE, est un exemple frappant de ces niveaux d’hétéronomie inacceptables ausein de futurs groupes d’intérêt. Selon ce programme, les déchets sont temporairement placésquelque part pendant que les membres discutent de son lieu de dépôt final. Toutefois, cesdiscussions tendent à durer au moins deux générations malgré le fait que les retombéesradioactives dues à ce placement temporaire peuvent avoir sur une région un impact durable pourdes centaines d’années. Dans cet exemple, les problématiques spatiales et temporelles sont doncunies puisque les risques dus à l’énergie atomique ne permettent pas vraiment de les confiner surl’un ou l’autre des territoires nationaux ou dans des périodes de temps limitées. En ce momentmême, de nombreux chargements de déchets atomiques traversent en tous sens les frontièreseuropéennes. Une commission de supervision internationale n’existe toutefois que sous sa formela plus rudimentaire et ce, malgré un récent rapport de la Commission Européenne signalant quela majorité des réacteurs européens ne présente pas des garanties de sécurité suffisantes. Cetexemple illustre la manière dont les personnes politiquement concernées peuvent se trouver à laréception de décisions internationales, sans égard aux frontières étatiques et/ou culturelles(Mason 2009, Bauböck 2009b, Owen 2011).
Cependant, réconcilier la citoyenneté partie prenante avec le système actuel de citoyennetéétatique risque de s’avérer difficile. Des questions “culturelles” seront, sans aucun doute,soulevées. J’entends par là les différences ethniques et religieuses entre les nations qui, selon lepoint de vue traditionnaliste, font souvent obstacle à une intégration supranationale. On dit, parexemple, que les corps supranationaux ne prêtent pas assez attention aux singularités respectivesdes groupes particuliers (c’est le raisonnement que mettent actuellement en avant certainsgroupes en Espagne, en Belgique et en Écosse afin de réclamer une plus grande indépendancerégionale face aux gouvernements centraux de ces pays). Naturellement, de telles objectionsveulent ignorer les relations de proximité entre différents peuples qui existent au-delà desfrontières nationales. Dans l’histoire, ces affinités transfrontalières ont en fait été fortement misesen avant, et ce jamais autant que dans les sociétés d’après-guerre où l’on travaille à réduire, parles échanges transculturels et la coopération politique, des inimitiés de longue date. Le cas del’Allemagne et de la France fait ici figure de modèle exemplaire alors que des gestes dans ce senssont en train d’être faits, par exemple, entre les différentes communautés ethniques et religieusesdes pays de l’ancienne Yougoslavie.
Prévisions pour une citoyenneté supranationale :le cas de l’Union Européenne
Le défi est alors de développer une définition de la citoyenneté qui soit assez large pourprendre en compte les différentes facons par lesquelles des citoyens nationaux sont affectés par des problèmes globaux en tout genre (par exemple, les changements climatiques) et assezconcrète pour représenter les fondements identitaires et communautaires de l’être-citoyen dans lecontexte d’un Lebenswelt particulier. Jusqu’à maintenant, l’Union Européenne n’a fourni qu’untype de citoyenneté plutôt embryonnaire, limité à un statut légal formel. L’existence et même lapossibilité d’un demos européen est mise en cause et contestée. La “citoyenneté européenne”per se n’existe pas encore puisque les États européens individuels continuent de défendre leurdroit de donner ou retirer la citoyenneté comme un privilège national. Derrière ce droit nationalférocement défendu d’anciens mythes, jamais complètement mis en application et de plus en plusmis à mal de l’union nationale d’un territoire, d’une culture et d’une ethnie, sont dissimulés.Qu’elle soit allemande, polonaise ou francaise, la citoyenneté est déterminée ou par la naissanceou par un processus de demande de naturalisation. Dans le cas de l’identité nationale officielle, iln’y a, pour l’instant, pas de troisième voie.
Si l’on souhaite le succès de ces objectifs supranationaux, de hauts niveaux d’empathie et deshabitudes de coopération bien rodées seront des conditions préalables, de même que la capacitéet le désir de comprendre ses partenaires. Le développement subséquent à ce procédé d’unecitoyenneté transnationale, conférant aux citoyens concernés des droits et des devoirsinstitutionnellement assurés et applicables, reste, toutefois, incertain. En d’autres termes, desdroits qui ne soient pas simplement moralement exigés mais aussi mis en pratique avec succès.Un citoyen de l’Union Européenne est, selon l’article 20 du Traité sur le Fonctionnement de l’UnionEuropéenne, un individu qui possède la nationalité d’un pays membre de l’UE. La citoyennetéeuropéenne est donc davantage une extension qu’un remplacement de la citoyenneté nationale.Parmi les droits afférents à la citoyenneté européenne on compte ceux de faire appel auxreprésentant de l’UE, d’être à l’origine de nouvelles propositions de lois et de participer, à la foisactivement et passivement, à des élections liées aux différentes institutions européennes. Parmiles droits supplémentaires octroyés aux citoyens européens, on trouve la liberté de déplacementau sein des et entre les territoires de l’UE et certains droits résidentiels à la fois pour eux et pourles individus à leur charge. Ces droits résidentiels ont également été optimisés afin de réduire auminimum l’effort administratif induit par la tâche de déterminer qui y avait concrètement droit. Lescirconstances dans lesquelles ces droits peuvent être refusés ont aussi été limitées. Dans les faits,tout citoyen d’une nation de l’Union Européenne a le droit de résider de facon permanente dansn’importe quel autre État de l’UE tant qu’il a passé au moins cinq ans sur le territoire dudit payssans avoir commis la moindre infraction qui aurait nécessité que quelque action soit menée contrelui. Ce droit n’implique pas d’autres exigences et s’applique aussi à tout l’entourage familial à lacharge de la personne concernée – sans prendre en compte leur propre nationalité – tantqu’eux-mêmes ont également passé au moins cinq ans sans interruption au sein d’un Étatmembre. Les citoyens de l’UE ainsi que leur entourage familial ont également droit à tous lesservices diplomatiques et consulaires de tous les membres de l’UE quand ils se trouvent dans unpays extérieur à l’Union Européenne.
Comment, alors, l’application d’une version régionale du principe du “tous concernés”pourrait-elle être mise en place sur le statu quo ? En ce qui concerne une déclaration decitoyenneté transnationale, les droits de participation des résidents de l’Union Européennepourraient être améliorés en adoptant les propositions faites par la convention Arhus : parexemple, en donnant la possibilité aux citoyens de participer aux votes nationaux, aux initiativescitoyennes ou aux recours collectifs (Wallrabenstein 2012).
Les programmes européens suivants sont déjà en place dans le but de promouvoir desinitiatives similaires et ils devraient conduire à des changements dans cette direction :
– La décision du Conseil 2010/37/EC du 27 novembre 2009 sur l’Année Européenne desActivités Volontaires en Faveur d’une Citoyenneté Active (2011) s’est fixé pour but decréer des conditions qui encouragent la participation de la société civile à des activitésvolontaires, et également d’augmenter la visibilité du volontariat.
– La décision du Conseil 2007/252/EC du 19 avril 2007 a établi, pour la période 2007-13l’application du programme “Droits fondamentaux et citoyenneté” en tant que partie duprogramme général “Droits Fondamentaux et Justice” ; son but est de promouvoir ledéveloppement d’une société européenne fondée sur le respect des droits fondamentaux ,de renforcer la société civile et d’encourager un dialogue ouvert et transparent, decombattre le racisme et la xénophobie et d’améliorer la compréhension mutuelle entre lesautorités judiciaire et administrative et les professions légales.
– La décision No1904/2006/EC du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2006a établi pour la période 2007-13 le programme “L’Europe pour les Citoyens” afin depromouvoir une citoyenneté européenne active ; il pourrait créer les conditions depossibilité d’un demos européen en développant une identité européenne parmi lescitoyens européens, et en alimentant un sentiment de propriété de l’Union Européenne(UE) parmi ses citoyens.
La Charte des Droits Fondamentaux a été encore plus concrète. Elle reconnai^t, inscrits dans leDroit de l’UE, une gamme de droits personnels, civils, politiques, économiques et sociaux auxcitoyens de l’UE et à ses résidents. Elle est divisée en six champs principaux que j’aimerais citer defacon extensive parce qu’ils sont presque inconnus du citoyen européen lambda :
Chapitre I : dignité (dignité humaine, droit à la vie, droit à l’intégrité de la personne,interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, interdiction del’esclavage et du travail forcé) ;
Chapitre II : liberté (droit à la liberté et à la sûreté, respect de la vie privée et familiale,protection des données à caractère personnel, droit de se marier et droit de fonder une famille,liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression et d’information, liberté deréunion et d’association, liberté des arts et des sciences, droit à l’éducation, liberté professionnelleet droit de travailler, liberté d’entreprise, droit de propriété, droit d’asile, protection en casd’éloignement, d’expulsion et d’extradition) ;
Chapitre III : égalité (égalité en droit, non-discrimination, diversité culturelle, religieuse etlinguistique, égalité entre hommes et femmes, droits de l’enfant, droits des personnes âgées,intégration des personnes handicapées) ;
Chapitre IV : solidarité (droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein del’entreprise, droit de négociation et d’actions collectives, droit d’accès aux services de placement,protection en cas de licenciement injustifié, conditions de travail justes et équitables, interdictiondu travail des enfants et protection des jeunes au travail, vie familiale et vie professionnelle,sécurité sociale et aide sociale, protection de la santé, accès aux services d’intérêt économiquegénéral, protection de l’environnement, protection des consommateurs);Chapitre V : citoyenneté (droits de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européenet aux élections municipales, droit à une bonne administration, droit d’accès aux documents,médiateur européen, droit de pétition, liberté de circulation et de séjour, protection diplomatiqueet consulaire);
Chapitre VI : justice (droit à un recours effectif et à un tribunal impartial, présomptiond’innocence et droits de la défense, principes de la légalité et de la proportionnalité des délits etdes peines, droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction) ;
Depuis 1995, le Médiateur européen, a été saisi, au nom de citoyens européens, de cas demauvaise administration supposée de la part des institutions ou corps de l’Union Européenne (EU),c’est-à-dire, la Commission Européenne, le Conseil de l’Union Européenne, le Parlement Européen,etc. Le rapport du 27 octobre 2010 sur la citoyenneté européenne intitulé “Défaire les obstaclesaux droits des citoyens européens” (COM(2010)603 finale) a identifié les principaux obstaclesauxquels les citoyens de l’UE peuvent encore être confrontés dans leur vie privée, académique ouprofessionnelle, quand ils font usage de biens et de services ou dans leur rôle d’acteurs politiques.
Conclusions et recommandations
1. Il existe une tension persistante entre la citoyenneté (tendant à l’inclusion) et l’identitéculturelle (tendant à l’exclusion). Par le biais de l’exclusion, l’ethno-nationalisme veutrésoudre cette tension d’une facon destructive et souvent militante. En conséquence deleur daltonisme culturel, les républicains effacent la tension en l’ignorant. Dans la plupartdes cas, les autorités étatiques peuvent faire confiance aux transmigrants qui ont crée desespaces véritablement transculturels. Ils s’identifient plus fortement à la communautélocale formée par leurs compatriotes et à la communauté urbaine plus large mais aussiavec des familles et des proches dans leur pays d’origine – à qui ils rendent visite,téléphonent et éventuellement envoient de l’argent. Toutefois, il est rare qu’ils conserventdes loyautés politiques solides en lien avec leur pays d’origine. L’attachement à l’endroitd’où ils viennent et le transnationalisme ne mettent en doute les conceptions de lapopulation locale déjà installée que dans la mesure où leurs identités ethniques et/oureligieuses sont en jeu.
2. La communication à l’échelle globale et les industries culturelles, les migrationstransnationales et les relations d’affaire à l’international ont conduit à une relativisationdes frontières étatiques, réduisant à l’état de fiction la possibilité d’affiliations purementnationales et ouvrant la voie à la multiplication significative du nombre d’instances àdouble ou multiples nationalités. Accorder une nationalité double ou multiple sans prendreen compte l’origine culturelle, ethnique et religieuse devrait donc être un outild’intégration plus efficace que les politiques assimilationnistes qui opèrent au niveau légal.
3. Les problèmes globaux comme les changements climatiques ou tout autre risqueenvironnemental, la crise des marchés financiers ou le non-respect des droits humains ontmené à la formulation de demandes politiques pour une participation s’étendant au-delàdes frontières de l’État-nation et pour l’ouverture, au-delà de l’État-nation et du systèmedes Nations Unies, d’une arène cosmopolite. Être “tous concernés” ne suffit pas en soipour garantir une participation effective ; le principe du “tous concernés” doit êtresoutenu par des droits effectifs liés à une citoyenneté (droit de vote, accès à la sphèrepublique, reconnaissance des ONG etc.).
4. L’Union Européenne fait office d’exemple avancé d’une institution qui fournit la based’une citoyenneté supranationale. Même si l’UE est le résultat de la citoyenneté nationale,elle est “surdéterminée” par de nombreux éléments cosmopolites. Les droits departicipation de nature morale sont assurés et peuvent être effectivement mis en pratiquepar le biais d’un titre légal supranational. L’UE fournit alors un modèle reproductible d’uneunion régionale qui soutient la citoyenneté supranationale.
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