Résumés Multitudes 24 (2006)

Moscovici (entretien avec Erwan Lecoeur)
Créer une nouvelle forme de vie

C’est en faisant la nature que nous la connaissons et, en vivant, nous lui donnons forme. La nature n’est pas quelque chose d’extérieur. L’écologie n’est pas une science, c’est un mouvement social et politique.

Edoardo Viveiro de Castro
Une figure humaine peut cacher une affection-jaguar. Réponse à une question de Didier Muguet

Comment peut-on être occidental ? Les Amérindiens ne connaissent pas notre dualisme nature-culture, et ils s’en passent fort bien. Ils pensent et vivent la continuité.

Raphaël Bessis
La Syntaxe des mondes. Une lecture de Par delà nature et culture de P. Descola

Philippe Descola dans Par delà nature et culture (2005) tâche d’élaborer, au travers d’une classification des formes d’écologie symbolique, les pièces élémentaires d’une sorte de syntaxe de la composition du monde. Quatre schèmes fondamentaux ou matrices ontologiques (l’animisme, le naturalisme, le totémisme et l’analogisme) seront ainsi exhumés de l’immense champ des monographies ethnologiques, permettant à leur auteur d’établir une critique de la raison naturaliste. C’est cette révolution épistémologique que nous nous efforcerons le plus fidèlement de restituer.

Raphaël Larrère
Une éthique pour les êtres hybrides : de la dissémination d’Agrostis au drame de Lucifer

Dans cet article, Raphaël Larrère compare l’Agrostis, un OGM végétal, et Lucifer, un clone de taureau. À partir de ces deux exemples, il réfléchit sur les conséquences sociologiques et philosophiques de l’introduction d’artifices dans notre environnement. Il existe des similitudes entre ces deux exemples : la croyance dans le pouvoir prométhéen du génie génétique. La frontière entre nature et artifice s’estompe mais il reste une différence radicale : la création d’un végétal pose la question du risque de prolifération et d’interaction inopportune avec les écosystèmes et celle liée du principe de précaution alors que la création d’un animal, être sensible, relève de l’éthique et de la morale, décider de la mort ou de la vie d’un être vivant. Nier ces questions d’éthique laisserait libres les projets de monopole de la production agroalimentaire mondiale ou les rhétoriques prométhéennes du Pentagone de la ” fabrication ” du soldat.

Jorge Riechmann
Biomimesis : éléments pour une écologie industrielle

Le concept de Biomimésis est fondé sur l’idée de l’imitation de la nature au moment de reconstruire les systèmes productifs humains. La Biomimesis est une stratégie de réinsertion des systèmes humains dans les systèmes naturels. Elle repose sur l’hypothèse que l’évolution a identifié à la longue des solutions optimales et que les êtres vivants ont atteint une perfection fonctionnelle susceptible d’être étudiée ou imitée. L’objectif est de réintégrer la technosphère dans la biosphère. Étudier comment fonctionne cette biosphère donne des indications sur les types de changement à opérer dans la première. Dans l’ économie cyclique naturelle chaque déchet d’un process se convertit en la matière première d’un autre : les cycles se bouclent. À l’inverse, l’économie industrielle capitaliste est de nature linéaire du point de vue des flux de matière et d’énergie : les ressources sont déconnectées des déchets, les cycles ne se bouclent pas. L’idée de Biomimésis est étroitement reliée au principe de précaution et à la soutenabilité.

Emmanuel Videcoq
D’une pensée des limites à une pensée de la relation

L’on expose et l’on dresse le bilan critique du corpus idéologique écologiste tel qu’il a été actualisé par les partis Verts. L'” environnementalisme ” qui s’appuie sur un dualisme nature-culture fonde le rapport d’extériorité des hommes vis-à-vis de la nature et affirme que les ” activités humaines ” sont la cause des dommages à l’environnement. Il se conjugue avec une critique radicale de la rationalité économique, selon laquelle la possibilité de l’écologie politique se construit sur l’obsolescence de la conception économique du monde. En fait, la pensée des écologistes relèverait d’un bricolage idéologique hétérogène, introduisant un décalage important entre leurs prétentions théoriques et la réalité de leurs pratiques. Faute d’un projet cohérent, celles-ci seraient condamnées à une efficacité limitée. De là naît la nécessité d’un deuxième age de l’écologie politique qui, embrassant des objets nouveaux telle la production de la science, conjuguerait la critique latourienne avec l’hypothèse de Félix Guattari d’une écologie généralisée, ajoutant de nouvelles relations aux relations existantes. On ne saurait confondre critique du ” Productivisme ” et critique de l'” Antiproduction ” qui limite l’expansion de la vie, le but de l’écologie politique étant de donner naissance à de nouvelles formes de vie.

Isabelle Stengers
Faire avec Gaïa : pour une culture de la non-symétrie

La nature désigne toujours quelque chose mais dans son rapport avec autre chose. Cet autre chose est éminemment variable. Le rôle de la nature comme répondant de jugements qui sont à la fois hiérarchisants et moraux ne cesse d’accompagner les sciences modernes, mais cela ne se déduit jamais des sciences modernes. Aujourd’hui, elle s’inscrit dans de nouveaux contrastes, dans de nouvelles oppositions qui mettent en scène des natures multiples, profondément enchevêtrées et historiques, ce qui ne nous donne pas une nature neutre. Le plus bel exemple directement lié à Gaïa est l’effet de serre. Nos interventions, même si elles relèvent d’un temps très court, pourraient provoquer un bouleversement des régimes qui pourtant se sont établis selon des temps longs. Nouvelle figure de la nature avec Gaïa, elle doit être respectée parce que nous dépendons d’elle, non pas au sens où elle serait respectable comme une déesse, mais au sens où elle est sensible, voire chatouilleuse. Cette nature, au sens où l’on pourrait la définir une fois pour toutes, où elle aurait une identité, où elle permettrait d’opposer ce qu’elle est à l’humanité, cette nature n’existe pas. L’autre nature n’existe pas plus au sens objectif. Mais est plus intéressante car elle est prise dans l’historicité humaine. Elle existerait au sens où elle nous oblige à penser, à négocier, à prendre en compte, à imaginer, à faire attention sans que nous devions dire : elle pense, elle négocie, prend en compte, imagine, négocie, fait attention. Nous devons penser, négocier, prendre en compte, imaginer avec quelque chose qui n’en fait pas autant. Il s’agit là du début d’une culture de la non-symétrie. S’il est quelque chose que la nature Gaïa nous apprend, c’est que c’est à nous de faire attention parce que le fait que le régime d’interdépendance actuelle nous convienne n’est pas du tout un privilège de ce régime. Gaïa n’a pas de raison d’être accrochée à un quelconque faire attention à nous, c’est nous qui devons faire attention à elle. Non-symétrie veut dire cette situation extrêmement intéressante : la nature nous intéresse alors que nous n’intéressons pas la nature.

Catherine Larrère
Éthiques de l’environnement

Depuis environ un quart de siècle, la réflexion morale s’est donné un nouvel objet : l’environnement. Issue, principalement aux Etats-Unis, d’une réflexion sur la nature sauvage –wilderness – et le devoir de la préserver, l’éthique environnementale se partage entre deux courants. Le premier est à la recherche d’une théorie générale de la valeur morale, d’un principe abstrait, universel, qualifiant des entités individuelles : la valeur intrinsèque des entités vivantes mérite le respect. L’autre a trouvé chez un forestier américain, Aldo Leopold, une éthique de la communauté biotique, il s’agit de comprendre comment la nature peut être une communauté dont nous sommes membres et dans laquelle il nous est possible de bien nous conduire.

Frédéric Neyrat
La Vie dans les sphères

Les individuations singulières et collectives ne sont possibles qu’au sein de ce que Peter Sloterdijk nomme des ” sphères “, des ” insulations “, des milieux ” prothétiques ” assurant les médiations entre ces individualités, ainsi que les formes de protections nécessaires à l’épanouissement de la vie. Or notre époque traverse une crise majeure de l’habiter, une fragilisation, voire une destruction des territoires existentiels. Les ” sphères ” collectives ont éclaté sous le coup de la globalisation capitaliste et de la modernisation techno-scientifique. Ce texte analyse les tentatives de substitution méga-sphérologique type Biosphère ou Noosphère, ainsi que les replis subjectifs sur des micro-sphères autistiques. Si les secondes sont dangereuses, les premières sont ambiguës. L’écologie politique devrait selon nous prendre en considération et ce danger, et cette ambiguïté.

Jean-Jacques Wittezaele
L’Écologie de l’esprit selon Bateson

Bateson considère que, pour comprendre le comportement d’un individu, il faut tenir compte des liens entre cet individu et les personnes avec lesquelles il est en relation. ” L’ écologie de l’esprit “, c’est toute l’organisation du réseau de communication qui relie l’homme à son environnement, que l’on retrouve chez l’homme, mais aussi chez l’animal et même dans les grands écosystèmes. Le monde des idées ne se limite pas à l’homme, mais bien à tous ces circuits composés d’éléments pouvant traiter l’information, que ce soit une forêt, un être humain ou une pieuvre. L’information consiste en des différences qui font une différence. Pour Bateson, le processus mental émerge de l’interaction entre différents éléments d’un système, il est le résultat d’événements qui se produisent dans le processus d’organisation de ces éléments, dans leurs relations. Ce qui pense, c’est un cerveau à l’intérieur d’un homme appartenant à un système qui comprend un environnement. Les choses qui se passent dans la tête de quelqu’un, dans son comportement et dans ses interactions avec d’autres personnes, s’entremêlent et forment un réseau Nous arrivons ainsi à une sorte d’enchevêtrement complexe, vivant, fait de luttes et d’entraides, exactement comme pour n’importe quelle montagne avec les arbres, des plantes et des animaux et qui forment, une écologie.

Jean Zin
Bonnes feuilles de L’Écologie à l’ère de l’information, Erès, début 2006

L’idée que le vivant pourrait se réduire à des échanges d’énergie procède d’un réductionnisme. Ce qui caractérise le vivant, c’est la reproduction et l’évolution, la régulation et l’adaptation, plus généralement l’information et la réaction. L’écologie est inséparable de l’information, au niveau biologique mais aussi au niveau historique. L’écologie politique est née des impasses de l’économie énergétique et quantitative et de son productivisme, d’où l’exigence écologiste d’un passage au qualitatif, à la régulation (par l’information). L’ère de l’information transforme radicalement notre monde et nos propres représentations. Les informations qui nous parviennent déterminent nos responsabilités. C’est le fondement du principe de précaution .Le feedback de la modernité industrielle, c’est l’écologie politique, dans son rôle de critique du négatif du progrès, de ses dégradations et pollutions. Les technologies informationnelles sont indispensables pour entamer une décroissance de la consommation matérielle au profit de la production immatérielle. L’information se trouve au c¦ur de l’écologie politique, sur tous les plans (biologique, historique, politique, économique), véritable nouveau paradigme par rapport à des ” lois de l’histoire ” mécaniques ou même aux équilibres thermodynamiques.

Bernard Stiegler
De l’économie libidinale à l’écologie de l’esprit. Entretien

Cet entretien voit se déployer les thèses suivantes : 1) le capitalisme doit d’abord être envisagé comme ” économie libidinale ” ; 2) cette économie libidinale est épuisée par l’hyper-industrialisation du capitalisme contemporain : le désir industriellement traité conduit à la destruction du désir ; 3) d’où la nécessité d’inventer une nouvelle forme de puissance publique capable d’effectuer une relance du désir. Les dommages écologiques sont en effet la conséquence d’une misère symbolique, misère des formes de vie et des pratiques. On ne pourra ainsi répondre à ces dommages qu’en proposant une véritable écologie de l’esprit.

Yann Moulier Boutang
L’Irruption de l’écologie ou le grand chiasme de l’économie politique

La question énergétique a été à l’origine du mouvement écologiste et l’article montre comment cette question a été intégrée par encastrement de l’économique par l’écologique. L’image de la pollinisation illustre la nouvelle conception de l’économie requise par l’écologie de demain. Les abeilles génèrent avec le miel un produit marchandisable, mais le travail le plus utile est la pollinisation des plantes. Ceci implique de revisiter l’ensemble du programme de la vieille économie politique reposant sur la rareté. La première écologie, confrontée au capitalisme industriel, était dominée par l’économie du monde matériel. L’écologie d’aujourd’hui (la deuxième écologie) montre le chiasme qui s’est opéré. Le monde de l’économie politique se présente comme un emboîtement de systèmes complexes, d’écologies diverses dont l’humain cesse d’être le centre. La sphère de l’esprit – celle des relations entre les idées et de la coopération entre les cerveaux – connaît une indéniable croissance et constitue l’autre partie du chiasme. Son économie fait apparaître de nouvelles formes d’efficience et d’organisation, comme le réseau d’ordinateurs. Le capitalisme cognitif est l’autre et le rival mimétique de la seconde écologie. Il peut accepter de se dessaisir de la maîtrise de la biosphère s’il devient le maître de la noosphère. Les contradictions propres au capitalisme cognitif s’ajoutent alors à celles du capitalisme industriel.

Frédéric Neyrat
Biopolitique des catastrophes

La catastrophe fait aujourd’hui partie de notre quotidien, comme si l’apocalypse pouvait nous tomber dessus tous les matins. Ce rapport démentiel au monde est cependant légitime, construit et non imaginaire, homogène au socius postmoderne. Une biopolitique des catastrophes s’est mise en place, qui tente d’intégrer cette nouvelle donne pour conjurer les risques qui composent, nous dit Beck, la mesure de nos sociétés post-progressistes. Cette biopolitique semble pourtant, par ses pratiques mêmes, rendre difficile la mise en place d’une écopolitique capable d’agir sur les causes, et non les effets des dommages que nous subissons d’ores et déjà.

Starhawk
Une présence païenne à la Nouvelle Orléans après Katrina

Une présence païenne à la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina. Dans les quartiers encore négligés par les secours officiels, des groupes militants s’activent au côté des habitants pour nettoyer, cultiver, avec des méthodes écologiques à la portée de chacun ; pour analyser aussi les causes de la catastrophe. Starhawk se fait la chroniqueuse de leur action.

Sandra Laugier
Le modèle américain de la désobéissance civile, de Thoreau à nos jours

Henry David Thoreau (1817-1862) a élaboré simultanément une pensée de l’écologie, de la nature et de la désobéissance par son installation à Walden, le choix de la ” vie dans les bois ” étant un retour vers une nature perdue, mais aussi un retrait hors de la société. La désobéissance civile se révèle alors, et est encore aujourd’hui, un moyen spécifique de la lutte environnementaliste, et un modèle de rapport à la société comme conversation et expression démocratique : celui d’une circulation naturelle de la parole où personne ne serait mineur, sans voix, et où toute revendication doit être entendue sans devoir être préalablement justifiée ou articulée par des règles de langage ou des principes de participation.

Yves Frémion
Le Premier Mouvement écologiste de la planète. Bonnes feuilles de Provo, Nautilus, à paraître en 2006

Provo fut, avant l’apparition des partis Verts, le premier mouvement écolo. Ils lui doivent les trois axes de base de l’écologie : environnement, solidarité sociale et citoyenneté/démocratie. La pollution constitue la première interpellation de Provo : pollution automobile, pollution industrielle pollution des eaux. La bagnole est dénoncée comme engin de mort, frappant des innocents dans la ville à l’abri de toute répression. Les Provos refusent d’aborder les questions économiques autrement qu’à travers le filtre de la solidarité sociale. Ils sont partisans non seulement de la réduction massive du temps de travail, mais de sa disparition. Ils prônent et pratique la non-violence. Ils allient vie collective (coopératives, squats) et individualisme politique, en rupture complète avec le capitalisme, la social-démocratie et le marxisme. La droite, comme la gauche, sont impuissantes à relayer les idées nouvelles, écologistes, pacifistes et solidaires.

Denis Drouhet & Sylvie Berline
Le Foncier sera-t-il le pied d’argile du SDRIF ?

La collectivité peut, et doit, se donner les moyens d’organiser son territoire. On ne résoudra pas autrement la crise du logement que traverse actuellement l’Île-de-France.

Didier Muguet
Réflexions à partir d’Écologie et socialisme

Depuis que l’écologie est devenue politique, les tentatives de synthèse, de dépassement ou de différenciation entre vert et rouge ont été incontournables pour la plupart des essais de conceptualisation d’un paradigme écologiste dans une politique globale de la transformation sociale. Les récentes tentatives ” éco-socialistes “, qui réactivent les habituels obstacles d’une certaine tradition marxiste et les limites d’une dénonciation de la marchandisation, sont l’occasion de revenir sur ce qui constitue toujours le chantier d’une écologie politique du point de vue des processus de subjectivation collective, et non de l’antériorité d’un savoir séparé d’un mode d’existence, pour redéfinir la question du commun comme création à venir, d’une composition des pratiques, d’une cohérence des usages du monde.

André Gattolin
De la nécessité d’un nouvel écosystème politique

Au fil de son histoire, l’écologie politique a connu une dissociation de plus en plus marquée entre ses finalités idéelles et les moyens mis en ¦uvre pour y parvenir. Ses praxis et ses modes initiaux d’organisation, fondés sur l’activisme, l’expérimentation et des formes d’incarnation sociale diversifiées et réticulaires, ont largement laissé la place à des pratiques normalisées et des formes institutionnalisées comme les grandes ONG internationales et les partis verts. Face aux défis nouveaux de la globalisation et de la multitude, l’écologie politique témoigne aujourd’hui d’une inadaptation qui pourrait mettre en cause son avenir. Elle doit donc se doter d’un nouvel écosystème politique, susceptible de réactiver ses ressources et de permettre d’établir des liens dynamiques avec des cultures politiques voisines et des formes d’incarnation sociale n’appartenant pas nécessairement à son biotope originel. Ce réagencement global suppose la mise en ¦uvre d’une dynamique de ” déterritorialisation-reterritorialisation ” sur deux dimensions : l’une spatiale (le topos), qui concerne les niveaux géographiques auxquels sa réflexion, son organisation et son intervention entendent s’appliquer ; l’autre thématique (les topics), qui réfère aux champs spécifiques de la pensée et de l’activité humaine qu’elle doit investir pour ne pas rester confinée à une approche environnementale.

Jacques Robin & Félix Guattari
Révolution informatique, écologie et recomposition subjective

Les technologies informatiques et de la commande ne sont pas uniquement de l’ordre des techni-sciences mais interviennent dans la production de subjectivité On ne peut pas séparer ces transformations des bouleversements politiques en cours. Le primat porté sur l’information comme nouvelle catégorie, à côté de l’énergie, accentue la production de nouvelles subjectivités et peut transformer la société en une société de communication. Mais ce concept est insuffisant si on ne l’associe pas à une ” fonction existentielle ” qui rende compte de la désaxation généralisée des coordonnées subjectives. La problématique de la recomposition subjective doit être posée par une re-finalisation des processus d’information, de télématisation, etc., sur d’autres systèmes de valeurs, du niveau de l’écologie mentale, jusqu’aux niveaux les plus planétaires. Nous sommes en co-pilotage avec une nature en situation. L’élément étonnant de cette symbiose, c’est la transformation radicale des rapports, des uns et avec les autres, L’écologie est un grand tournant, à condition que cette écologie soit mariée à la dimension sociale et économique, avec toute forme d’ altérité, pour former une idéologie douce, qui fasse sa place aux nouvelles connaissances.

Bernard Heidsieck
John Giorno de 1976 à 2006

Que reste-t-il des performances de John Giorno quand on en retire le choc, la répétition, le dispositif technique et la gestuelle ? L’essentiel : le rythme.

Graziella Vella
Étranger le proche

Au fil des tentatives qu’il a menées, Deligny n’a cessé de déjouer cette fonction : éduquer. Il lui préférera ” permettre “, infinitif par lequel il esquivera la posture majoritaire attendue de celui qui sait le modèle et les écarts. Au regard qui ne voit en ces autres (autistes, psychotiques, délinquants…) que déficiences malheureuses, irrécupérables, il substituera – par le tracer des cartes entre autres – un regard capable de rencontrer et de révéler la force et la singularité de rapports au monde différents. En quoi cette position perturbe-t-elle la manière dont l’anthropologue s’adresse aux autres et établit le rapport entre mondes hétérogènes ? En quoi ce qui s’expérimente au sein de cette singulière ethnie cévenole pourrait-il constituer un antidote à l’étalon qui trop souvent parle, voit et sent dans l’anthropologue ? Questions pratiques et politiques qu’actualise la formule ” étranger le proche “…

Béatrice Han (kia-ki)
Deligny et les cartes

” Autre ” façon de vivre le dehors de nous-mêmes, façon d’apprendre ” l’Autre ” avec ses propres mots, l’¦uvre de Deligny rompt avec tous les cadres, les ” discours ” et structures de l’institué. C’est sur ce ” chemin “-là que nous l’avons rencontré, sur les ” cartes ” ; ” cartes ” tracées par les ” lignes d’erre ” autistiques, parce qu’elles cherchent à exposer un mode d’être ” humain ” immanent à l’espace ; et qu’elles se passent ici hors de toute référence à un sujet; quelconque.

Doina Petrescu
Tracer là ce qui nous échappe

La contribution de Deligny à la pensée contemporaine du commun est de cartographier le topos (impossible) d’une communauté qui peut difficilement être décrite par des mots (comme beaucoup de penseurs contemporains en ont eu l’intuition) mais doit être tracée par des lignes. L’usage des lignes par Deligny diffère de toute autre forme de cartographie précisément parce qu’elles ne représentent rien que notre propre ignorance de ce qui est cartographié. Plus que de pensée négative il s’agit d’une forme de cartographie négative de ce qui est commun entre les membres d’une ” communauté impossible “.

Jean-Louis Comolli
Un cinéma hors de lui

La pensée de Deligny est une pensée qui ¦uvre à ouvrir, ouvrir les mots pour les faire revenir aux gestes d’où, peut-être, ils sont issus et auquel,, sans doute, ils renvoient. Pour dire à propos du cinéma des choses inédites, il a fallu à Deligny forger un nouveau langage dont le terme-manifeste est celui de ” camérer “. À quoi sert le cinéma ? À revoir pour voir, à redoubler le système de répétition propre aux enfants autistes. Que serait le camérer de Deligny ? Amener le cinéma à ce qui est hors de lui.


Emilia M. O. Marty
Garder son petit chapeau bleu

Aventures et mésaventures de Pierre, petit garçon ballotté dans le temps et l’espace au pays des Néducateurs.

Rada Ivekovic
Banlieues, sexes et le boomerang colonial

La décolonisation de la France n’est pas terminée. N’ayant rien vu (re)venir, elle se prend aujourd’hui le boomerang de plein fouet. Isolement linguistique, postcolonial studies en jachère, surdité envers les garçons comme les filles de banlieue (émeutes, voile) : les mots font défaut aux institutions. Prises de court, elles surenchérissent en matière de distorsions médiatiques et de répression / sélection aux frontières.

Published 5 April 2006
Original in French

Contributed by Multitudes © Multitudes Eurozine

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Read in: EN / FR

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