Nouvelles puissances, nouvelles menaces

Entretien avec Pierre Hassner et Bruno Tertrais

Esprit: Le thème des nouvelles menaces présentes à l’échelle internationale a beaucoup été utilisé par l’administration américaine et instrumentalisé par elle dans le cadre de la guerre en Irak. Au-delà de cette instrumentalisation, qui en a dénaturé l’analyse, que peut-on dire de la réalité de ces menaces ?

Pierre Hassner: La première menace que je distingue vient du fait que nous avons rarement été autant dans l’incertitude. On peut dire, d’une certaine manière, que la situation internationale n’est pas si mauvaise : plusieurs rapports montrent que, contrairement à la perception générale, le nombre de guerres, y compris de guerres civiles, et le nombre de génocides diminuent depuis 1995. Sur le plan économique, la chute du dollar que l’on prévoyait ne s’est pas produite en 2005, année de croissance soutenue sur le plan mondial. Malgré cela, nous restons largement plongés dans l’incertitude, avec la peur qu’un nouvel attentat bouleverse tout. Au Proche-Orient, avec la situation intérieure en Israël, on est plus que jamais dans le doute. La menace terroriste et la menace de la prolifération nucléaire restent présentes. Aux États-Unis, on observe un retour de la géopolitique après la ” guerre contre le terrorisme ” annoncée par George Bush dans un premier temps : après le 11 septembre 2001, dans la rhétorique américaine, il n’y avait plus de conflit entre les grandes puissances, désormais unies contre le terrorisme. Désormais, la logique des États fait son retour : les Américains sont préoccupés par la Chine, la Russie et s’interrogent sur des problèmes géopolitiques assez classiques comme les ressources naturelles ou l’énergie. Cette hésitation entre une analyse qui privilégie le terrorisme ou celle qui revient aux catégories classiques de la géopolitique se traduit dans l’administration américaine par l’opposition entre les Al Quaida firsters et les China firsters. S’il existe donc des menaces nouvelles, il y a aussi un retour de menaces anciennes, voire une allure de guerre froide avec Poutine, l’Ukraine… L’année 2005 est aussi celle où l’on a pris plus largement conscience des menaces extra-politiques comme le changement climatique, les épidémies, la grippe aviaire ou des phénomènes sociaux comme les migrations avec les événements des banlieues.

Au total, il est difficile de croire aux différentes formules forgées pour répondre aux défis de ce qui caractérise la période : l’empire bienveillant américain, la multipolarité européenne, le règne de la loi. Les États-Unis sont sur la défensive, la multipolarité existe peut-être mais avec la Chine et l’Inde… et non, comme on l’espérait, avec l’Europe et le Japon. Les modèles d’intégration sont en difficulté, que ce soit celui des États-Unis (voir la Nouvelle-Orléans) ou celui de la France (voir la crise des banlieues). L’Europe est paralysée, la France encore davantage.

Retour de la géopolitique

Esprit: Pourtant, l’idée que pour comprendre les relations internationales, il fallait accorder une plus grande importance aux ” nouvelles menaces ” semblait faire sens dans les années récentes. Sommes-nous en train de changer de période ?

Bruno Tertrais: Le débat sur les menaces manque terriblement de rigueur intellectuelle. L’expression même de ” nouvelle menace ” est utilisée au moins depuis une quinzaine d’années… Certains parlent encore de nouvelles menaces en évoquant le terrorisme ! Pourtant, la France a déjà largement connu le terrorisme dans les années 1980, pour ne pas remonter plus avant. Il faut également hiérarchiser ces menaces. On ne peut pas mettre sur le même plan la grippe aviaire et la bombe iranienne. Et la grippe aviaire, qui a tué à ce jour quatre-vingts personnes, n’est pas non plus la même chose que le paludisme, qui fait plus d’un million de morts par an. La catastrophe de Tchernobyl est mise en exergue pour souligner les dangers du nucléaire, mais elle a fait trois ou quatre fois moins de victimes que la catastrophe industrielle de Bhopal en Inde. Parfois même, surtout en Europe, on est dans la confusion totale. Un sondage de 2003 montrait que pour les Européens les deux plus grandes menaces pour la paix dans le monde étaient Israël et les États-Unis. Même si ce sondage a eu lieu au moment de la crise irakienne, il ne peut que laisser perplexe.

Deux grandes écoles s’opposent effectivement aux États-Unis pour savoir si l’univers stratégique des trente ans à venir sera plus déterminé par le terrorisme et l’islamisme que par l’Asie et une éventuelle menace chinoise. Le risque d’une fusion de ces deux menaces, l’alliance ” confucéo-islamique “, annoncée déjà par Samuel Huntington, me semble en revanche relever du fantasme. On peut trouver des exemples comme la déclaration où Kadhafi souhaitait que la Chine soit victorieuse, mais cela relève d’une connivence tactique et non pas d’une alliance stratégique. La question chinoise peut supplanter la question terroriste comme élément déterminant de la stratégie américaine, sauf si un nouvel attentat secoue les États-Unis.

Sur la situation générale, on peut dire qu’il y a à la fois un échec du terrorisme et un échec américain. Un échec du terrorisme parce qu’aucun régime n’est tombé dans le monde arabo-musulman depuis quatre ans, contrairement aux objectifs avoués de la mouvance Al-Qaida. Nos démocraties ne sont pas devenues des dictatures, même si la question de l’équilibre sécurité et liberté peut inquiéter. L’Europe n’est pas non plus obsédée par le terrorisme. Ni Madrid ni Londres n’ont été des 11 septembre européens. Parallèlement, on peut parler d’un échec américain, dans la mesure où l’Amérique n’a pas réussi à appréhender les mutations du phénomène Al-Qaida, qui a évolué depuis quatre ans. Elle a suscité des réactions qui vont à l’inverse de ce qu’elle recherchait ; c’est-à-dire des réactions de différenciation par rapport aux États-Unis, voire des manifestations de sympathie, qui n’existaient pas auparavant, en faveur de groupes terroristes. Elle a renforcé le sentiment d’appartenance des musulmans à un espace commun menacé par l’Occident. Et l’islamisme d’aujourd’hui ressemble au panarabisme d’autrefois, comme le souligne souvent Olivier Roy.

La menace nucléaire me semble être aujourd’hui particulièrement inquiétante. La menace biologique le sera peut-être tout autant dans l’avenir, mais ce n’est pas encore le cas. Cela dépendra de la manière dont les laboratoires avancent aussi bien dans les pays occidentaux qu’au sein des groupes terroristes. Sur le nucléaire, on retrouve la situation du milieu des années 1960 et la pertinence des analyses comme celles de MacNamara : si nous n’y prenons pas garde, nous aurons vingt ou trente puissances nucléaires d’ici quarante ans. Ceux qui ridiculisent aujourd’hui ces prévisions oublient que c’est justement cette prise de conscience qui a abouti à la mise en place du régime de non-prolifération. Si l’Iran et la Corée du Nord deviennent des puissances nucléaires, il y a un risque de prolifération en cascade.

PH: La Corée du Nord possède sans doute déjà l’arme nucléaire. Déjà en 1945, on prévoyait cent puissances nucléaires en 1980 et certains démontraient mathématiquement qu’avec ce nombre de puissances nucléaires, il était certain qu’une bombe éclaterait dans les dix ou vingt ans. On en est loin. Mais tout cela renforce la peur de l’avenir. Qu’il s’agisse de grippe aviaire ou de terrorisme, ce qui produit la panique c’est la possibilité, voire la probabilité de catastrophes futures que la modestie relative des effets actuels ne suffit pas à écarter. Au sujet du terrorisme, je ne sais pas si l’on peut parler d’échec mais ce qui s’est imposé dans les dernières années est l’idée d’un saut qualitatif du terrorisme, avec l’usage d’armes sales, comme le gaz sarin répandu en 1995 dans le métro de Tokyo. La formule de George Bush, selon laquelle nous devons faire face à l’alliance du fanatisme et de la technologie, désigne un vrai problème. Il n’est pas exclu que les groupes terroristes agissent à l’avenir avec des armes non conventionnelles.

Si l’on accepte cette incertitude, comment hiérarchiser les menaces ? La grippe aviaire pourrait bien se révéler comme un danger plus grave que la bombe iranienne. Si elle n’a pas encore muté et a peu tué, les spécialistes prévoient que cela arrivera sûrement d’ici quelques années et, en ce cas, elle est sûre de faire un nombre considérable de victimes. D’un autre côté, en ce qui concerne la bombe iranienne, elle comporte le grand danger d’une course aux armes nucléaires au Moyen-Orient, ou d’un emploi agressif contre Israël par un fanatique du type Ahmadinejad. Mais elle me semble inévitable à long terme et il y a des chances qu’avec un autre gouvernement, elle entre dans la logique de la dissuasion réciproque. Après tout, l’obtention de la bombe a permis une stabilisation indo-pakistanienne. En tout cas, tous les pays du Sud considèrent que les Américains et les Européens, eux-mêmes possesseurs d’armes nucléaires, et qui veulent en priver les autres, n’ont ni le pouvoir ni la légitimité dans le monde pour dire la loi. Les sanctions économiques ou une frappe nucléaire contre l’Iran ne pourront qu’unifier sa population autour de la revendication nationale de pouvoir posséder la bombe, d’autant plus qu’elle se sent menacée par des voisins nucléaires comme la Russie, le Pakistan, Israël et une Amérique présente en Irak.

Le danger qui vient de Taïwan est non moins important. Dans les dix années qui viennent, la Chine pourra envahir l’île. En ce cas, les États-Unis feront-ils, ou non, la guerre à la Chine ? La réflexion ici ne peut que rester virtuelle. Peser la gravité de la menace et sa probabilité reste très difficile.

BT: À propos de l’usage possible par des groupes terroristes d’armes de destruction massive, il faut remarquer que le mode privilégié d’action n’est pas l’arme chimique, biologique ou nucléaire mais l’attentat suicide. La généralisation de cette technique est l’un des développements stratégiques majeurs des dernières années, car elle constitue pour le terrorisme un véritable ” multiplicateur de force “. Ce qui fait qu’ils ne considèrent pas, pour l’instant, que le passage aux ” armes de destruction massive ” soit indispensable pour provoquer de la destruction de masse.

En ce qui concerne le risque nucléaire, il faut lire le discours de réception du prix Nobel d’économie 2005, Thomas Schelling. Pour lui, le grand événement des soixante dernières années est la non-utilisation du nucléaire. Le tabou de l’utilisation du nucléaire reste en effet dominant, mais une des grandes questions est de savoir si celui-ci va être rompu. Pour certains, celui-ci se renforce au cours du temps ; pour d’autres, au contraire, le souvenir d’Hiroshima s’effaçant et les victimes du drame disparaissant physiquement, on aura tendance à l’oublier, si bien que le tabou ne resterait pas aussi fort. Il y a selon moi deux risques de guerre nucléaire aujourd’hui : le Cachemire et Taïwan, qui signifie dans ce dernier cas un risque de guerre d’ampleur mondiale, impliquant la Chine et les États-Unis.

Le danger que représente l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran n’est pas tant le risque direct de son emploi que dans les conséquences sur l’avenir du Moyen-Orient, avec surtout le risque de relancer la course à l’acquisition de l’arme nucléaire dans toute la région. Mais, en cas de conflit, il me semble que la Chine serait peut-être davantage susceptible d’employer l’arme nucléaire que l’Iran.

Esprit: Revenons à la hiérarchie des menaces. Un des problèmes aujourd’hui de la question de la sécurité n’est-il pas le décalage entre la perception et la réalité de la menace ? Comment surmonter ce décalage ?

PH: Selon un sondage récent, quand on interroge les Américains et les Européens sur ce qui leur apparaît comme le danger principal, les premiers répondent le terrorisme et les seconds le changement climatique. Mais chacun des deux côtés est de plus en plus conscient du danger privilégié par l’autre.

BT: Pourtant dans les années 1990, en Europe, le terrorisme venait très souvent en tête des inquiétudes. En France, le pays qui était perçu comme celui qui menaçait le plus la sécurité de l’Europe était l’Algérie, à cause des attentats. Revenons sur le décalage entre perception et réalité. La grippe aviaire, le réchauffement climatique, la dégradation de l’environnement sont des menaces. Mais quelle place doivent-ils occuper dans nos préoccupations ? La grippe aviaire rappelle le souvenir de l’hécatombe de la grippe espagnole à la sortie de la Première Guerre mondiale. Mais la grippe espagnole est-elle pour autant un événement à mettre sur le même plan que les grands épisodes de violence du XXe siècle ? Et l’ampleur du réchauffement climatique ne fait-elle pas l’objet d’incertitudes et de divergences entre spécialistes ? Sans nier les questions liées à la santé et à l’environnement public, il serait légitime que celles relatives au terrorisme, à la prolifération et à l’émergence de l’Asie soient davantage présentes au sein de l’opinion publique. On souffre de la période Bush, dans le sens où beaucoup de responsables politiques et intellectuels craignent d’être taxés de partisans du président américain en évoquant ces questions. Si les Américains peuvent exagérer la menace, il ne s’agit pas non plus de la nier. Les analyses américaines pointent parfois de vraies questions.

La Chine est perçue surtout comme un danger sur le plan économique et de l’emploi, avant d’être un danger militaire. Mais une des grandes erreurs de l’analyse stratégique aujourd’hui est de considérer que l’interdépendance économique entre les États-Unis et la Chine préviendra une guerre entre ces deux pays.

Les formes de la puissance

Esprit: L’idée de retour de la géopolitique peut plaider aussi pour le rôle des États sur la scène internationale. Quels sont les types d’États qui posent des problèmes dans les relations internationales ? Faut-il s’inquiéter des dérives des États forts ou de la faiblesse des États effondrés ? L’autre question est de définir ce qu’est un État fort. Au temps de la guerre froide, on était éclairé par la notion de pouvoir totalitaire. Mais aujourd’hui, y a-t-il un point commun entre l’autoritarisme à la chinoise, à la russe, à la pakistanaise, etc. ? Le fait de ne pas arriver à caractériser un type de pouvoir fort explique sans doute en partie l’invisibilité aux yeux de l’opinion de certaines menaces.

PH: J’ai parlé de retour de la géopolitique mais il ne faut pas perdre de vue le fait que les relations entre États sont profondément modifiées aujourd’hui par le jeu des communications, des passions, l’irrationnel, la peur, le ressentiment. Stanley Hoffmann parle de la nécessité de développer une ” géopolitique des passions “. Si les États-Unis ne peuvent pas jouer le rôle d’un empire au sens strict, c’est parce que la société commence à réagir à partir du moment où le nombre de morts croît, que les photos d’Abou Ghraib sont diffusées. Dans le monde, on a tous les cas de figure : l’absence d’État, les États faibles, les États faillis, les États forts. Est-ce qu’on peut caractériser l’émergence de la Chine comme une expansion pacifique ? Les spécialistes de la région sont divisés sur ce sujet. Deng Xiaoping est réputé avoir déclaré : ” Notre priorité dans les cinquante ans qui viennent est de faire de la Chine une grande puissance respectable et respectée, après on verra. ” Évidemment, tout est dans cet ” après ” !

En tout cas, ce qui est certain, c’est que les dirigeants chinois essayent de combiner capitalisme, autoritarisme et nationalisme. Il en va de même pour la Russie. Le pouvoir de Poutine apparaît de plus en plus comme autoritaire et mafieux et fait de plus en plus appel à la nostalgie de l’empire, en même temps qu’à la crainte de l’encerclement. Sur le plan international, le but est de contrôler les pays de l’ancienne Union soviétique en ayant recours pour cela à l’arme de l’énergie et à la puissance militaire.

BT Le rôle des États est toujours extrêmement important. Aucune ONG ni aucune firme multinationale n’ont aujourd’hui le poids relatif qu’avait la compagnie des Indes orientales au XIXe siècle par exemple. Celle-ci avait des compétences quasi étatiques en plus d’un poids économique considérable. Nous sommes encore dans un monde ” westphalien “, la question de l’ingérence mise à part. Le rôle des États dans les économies nationales reste extrêmement important. La part de l’État dans le PIB des différents pays occidentaux est toujours considérable. Il n’y a pas de diminution rapide du poids de l’État dans les économies. Même sous la présidence de Reagan, pourtant considéré comme le champion de la dérégulation, le poids de la dépense publique avait augmenté considérablement. Le terrorisme amène aussi à un retour ou à une stabilisation du poids de l’État, car c’est lui qui prend en charge la sécurité du territoire. Ainsi, le Pakistan est dans une phase de construction de l’État : le terrorisme y contribue au renforcement du poids de l’État, à sa plus grande présence sur l’ensemble du territoire, y compris des zones reculées dans lesquelles il était peu présent. Et cela est vrai pour de nombreux pays du monde. Les problèmes majeurs aujourd’hui viennent soit des États ” trop faibles “, qui peuvent devenir des sanctuaires pour le terrorisme, soit des États ” trop forts “, qui entendent imposer leur propre agenda. Ainsi la Chine et l’Iran peuvent être qualifiés de révisionnistes, dans le sens où ils veulent revoir l’ordre international tel qu’il leur est imposé par les Occidentaux et les États-Unis en particulier, et d’abord dans leurs régions, l’Asie orientale et le Moyen-Orient. Leurs ambitions peuvent aller parfois au-delà. Pour certains Iraniens, il s’agit d’un véritable défi ” civilisationnel ” : l’Iran veut présenter au monde musulman une alternative potentielle à la modernité occidentale. L’Iran est le pays du monde en développement où l’ouvrage de Huntington, le Choc des civilisations, a reçu la plus large audience. Mais on peut même dire que l’acteur le plus important des relations internationales, les États-Unis, est lui aussi ” révisionniste ” dans la mesure où il veut bousculer le statu quo au nom de la diffusion de la démocratie et de la construction d’un nouveau Moyen-Orient. D’habitude, l’État le plus fort défend le statu quo. Or, depuis le 11 septembre, il est ” révisionniste “.

Esprit: Les démocraties apparaissent-elles comme des éléments de la stabilité dans ce contexte ? N’y a-t-il pas un risque de contamination à l’intérieur des démocraties des difficultés qui viennent de l’ordre international ? On peut penser ici aux exemples d’Abou Ghraib et du Patriot Act mais aussi plus récemment l’exemple de Gerhard Schröder. En acceptant d’appartenir à l’équipe dirigeante d’une société créée par la signature d’un accord qu’il a passé lui-même avec Poutine peu avant son échec aux élections législatives, il a fait faire un saut considérable au niveau de corruption accepté en Allemagne. Il a acclimaté ainsi la corruption à la russe, faite d’un entrecroisement d’intérêts économiques (avec l’inévitable Gazprom) et de rapports de forces politiques et géopolitiques (le contrat prévoit la construction d’un acheminement sous-marin du gaz russe directement de la Russie à l’Allemagne, en contournant le transit par les pays baltes et la Pologne).

BT: Ce problème de la corruption est important car il fait partie de ce que la droite américaine reproche à la France et l’Allemagne. Depuis 2001, elle accuse la ” vieille Europe ” de se laisser aller à la corruption parmi d’autres signes de sa décadence et de son absence de repères moraux. Ce qui peut faire sourire aujourd’hui, alors que plusieurs leaders républicains sont en difficulté pour corruption ! Les liens de la famille Bush avec la famille régnante en Arabie Saoudite ou ceux du vice-président Dick Cheney avec la société Halliburton rappellent aussi que les risques de confusion des genres existent pour les républicains. Cette confusion des genres est d’ailleurs parfois parfaitement assumée, comme lorsque James Baker proclamait qu’il allait libérer le Koweït pour les ” jobs ” américains. Mais le statut des détenus de Guantanamo a donné lieu à un jugement de la Cour suprême, et l’affaire d’Abou Ghraib à des sanctions. Ce qui prouve que la démocratie américaine fonctionne.

On ne peut pas opposer radicalement les États-Unis et l’Europe sans verser dans un schématisme discutable. Certes, la période actuelle suscite de réelles divergences, avec des choix d’ailleurs discutables des deux côtés. L’Amérique choisit la morale au risque de l’illégalité, l’Europe le droit international au risque de l’immoralité. Les États-Unis ont choisi la déstabilisation au risque du chaos, et parient à l’excès sur les vertus de la coercition ; de son côté, l’Europe choisit la stabilité au risque de l’injustice, et se berce des illusions du dialogue et de l’engagement. Enfin, l’Amérique se laisse emporter par la passion ; mais, de son côté, l’Europe a oublié la passion…

L’année 2005 a vu d’une certaine manière l’affaiblissement de la capacité politique américaine à peser sur les affaires du monde, et l’affaiblissement de l’Europe après le référendum, ce qui n’est profitable à personne.

PH: En effet, les oppositions ont été exacerbées avec la guerre en Irak. L’inverse s’était produit pendant la guerre de Suez : nous avons envahi l’Égypte aux côtés des Anglais et des Israéliens en assimilant Nasser à Hitler et en le rendant responsable de la guerre d’Algérie. Les Américains nous ont arrêtés au nom de l’ONU et de l’interdiction d’employer la force.

On retrouve aux États-Unis à la fois le côté militariste jacksonien, le côté fondamentaliste protestant, mais aussi une tradition légaliste, un régime démocratique et un peuple moderne, individualiste. Personne n’ose rétablir le service militaire obligatoire aux États-Unis, l’opinion refuse le nombre croissant de morts. Le sénateur McCain est le seul à avoir dit qu’il faudrait plus de troupes. Dans ce sens, on se trouve du même côté par rapport aux Arabes ou aux fanatiques musulmans. Le problème fondamental est celui qui se pose entre la démocratie et la politique de puissance. Je rappelle que nous avons aussi eu nos pages noires en Algérie et, à l’époque, le parlement français ne s’était pas prononcé à l’unanimité contre la torture. Au XIXe siècle, les pays coloniaux pouvaient avoir un régime décent sur le territoire national tout en menant des répressions féroces dans les colonies. Aujourd’hui, les images circulent et ce double standard n’est plus tenable. Désormais, tout se voit : les dilemmes entre réalisme et démocratie sont réels. Les États sont aujourd’hui beaucoup plus contraints par les réactions qu’ils suscitent au sein de l’opinion publique et partout dans le monde.

BT Aujourd’hui, les moindres rumeurs ou déclarations sont immédiatement répercutées et sans médiation – par Internet ou par la télévision par satellite – dans les coins les plus reculés du monde arabo-musulman. On a vu à plusieurs reprises des manifestations plus ou moins spontanées se produire au Moyen-Orient et tourner à l’émeute à propos d’épisodes comme celui du Coran jeté dans des toilettes. De même, lorsqu’un évangéliste proclame que Mahomet est un démon, il peut y avoir des émeutes dans les quartiers musulmans d’Inde au bout de quelques heures et pendant plusieurs jours. Ce sont des phénomènes qui n’existaient pas auparavant, et qui sont aussi très importants dans le fonctionnement des démocraties : ils contribuent au développement de l’image d’un affrontement entre ” eux ” et ” nous “. Mais ils ont aussi certaines vertus : comme le suggère Michael Ignatieff, le poids des opinions publiques occidentales empêche que nous ayons la tentation de l’Empire, car nos populations ne sont pas prêtes à en payer le prix.

Les forces de rappel

Esprit: Qu’est-ce qui pourrait stabiliser l’ordre international ? On peut se demander qui a la légitimité aujourd’hui pour établir la loi, les règles de fonctionnement. Le scénario de l’unilatéralisme américain imposant, même à contrec¦ur, le minimum d’ordre international dont tous les pays ont besoin semble s’être rapidement érodé.

PH: Les Américains ont découvert les limites de l’instrument militaire en Irak. La démocratisation était le slogan de la deuxième administration Bush. L’équipe de Bush met davantage l’accent sur les risques représentés par les États faillis et, par conséquent, Bush va davantage parler de soutien à la construction des États et de nation building. Tout en continuant à penser qu’ils représentent le Bien contre le Mal, les Américains prennent, par la force des choses, en compte le fait qu’il faut ménager des pays en fonction de choix d’alliances. Ils ont besoin de la Russie pour agir sur l’Iran. Cela veut dire qu’ils ne peuvent pas trop soutenir l’Ukraine, mais ils critiquent tout de même Poutine, plus que les Européens. Ils ont besoin de l’Ouzbékistan pour l’Afghanistan, mais lorsqu’ils ont critiqué la répression pratiquée par son régime, la Russie et la Chine se sont empressées de soutenir celui-ci et il a retiré son soutien aux États-Unis. Des dilemmes se sont aussi posés sur le terrain en Irak, d’une part sur le plan politique – soutenir les chiites et ne pas s’aliéner les sunnites –, d’autre part sur le plan militaire : poursuivre et détruire coûte que coûte les insurgés ou se soucier avant tout de ne pas s’aliéner la population. Finalement, c’est toujours le même dilemme, déjà éprouvé sur le terrain au Vietnam : search and destroy, poursuivre et éradiquer le terrorisme ou la guérilla, ou winning hearts and minds, chercher la voie civile et l’appui des populations. Mais les Américains ont souvent pensé qu’il suffisait de renverser les tyrans pour être accueillis en libérateur, sans prendre en compte que la population pouvait aussi se tourner contre l’occupant occidental. C’est l’hybris dans laquelle les Américains se sont laissés entraîner après le 11 septembre : le sentiment d’une nouvelle vulnérabilité s’est combiné à l’illusion de la toute-puissance militaire et de l’innocence morale.

BT: Je suis assez critique envers le wishful thinking à l’européenne, qu’on a vu se développer au moment de la réélection de Bush, qui consiste à penser que le président allait finir par ” revenir à la raison ” et qu’au premier mandat unilatéraliste et néoconservateur succédera un mandat réaliste et multilatéraliste. Cette idée est tentante mais me semble fausse. L’Irak ne doit pas masquer certaines données. Même sous Bush, les Américains pratiquent le multilatéralisme, au moins sous quatre formes. D’abord, le multilatéralisme de type Organisation mondiale du commerce (OMC), où les États-Unis ne sont qu’une puissance parmi d’autres. Ensuite, le multilatéralisme via le leadership au sein de l’OTAN, où les États-Unis essaient de créer un consensus autour d’eux à travers des mécanismes institutionnels. On peut aussi citer la gestion de la crise nord-coréenne, où les États-Unis doivent prendre en compte les avis du Japon et de la Corée du Sud. Enfin, cas limite, la coalition en Irak est d’une certaine manière multilatérale, car elle a attiré plusieurs pays, même si ce sont des alliés proches, notamment la Grande-Bretagne, l’Australie et la Pologne. On ne peut pas opposer de manière schématique unilatéralisme et multilatéralisme comme si l’on pouvait avoir des modèles purs de l’un ou de l’autre. Mais au total, je pense que la posture idéologique, assez churchillienne, consistant à dire que les États-Unis sont en guerre pour plusieurs générations reste la ligne de Bush. Le moment d’hybris est passé, la méthode peut s’adoucir, mais la ligne politique reste la même.

PH: Néanmoins, il y a eu certaines évolutions. L’offensive idéologique contre le multilatéralisme a été forte, surtout au moment où les néoconservateurs étaient les plus influents. Pour eux, la légitimité ne pouvait venir que de la constitution et de l’électorat américains, il n’y avait rien à attendre des grands principes universels et d’une assemblée des Nations unies où sont présents des États esclavagistes et totalitaires. Ils ont largement développé une idée du ” deux poids deux mesures ” : nous n’acceptons pas les contraintes internationales tout en exigeant que les autres s’y conforment. Mais ce type de position n’a qu’un temps. Même Robert Kagan, qui disait qu’il n’y a pas à être pour des négociations quand on est dans une position de force, a tempéré sa position en disant dans un deuxième temps qu’il est nécessaire d’avoir une légitimité. Il me semble qu’un certain recentrage a eu lieu. Effectivement, aucun pays n’est seulement unilatéraliste ou multilatéraliste. Aucun État au monde ne délègue complètement à l’ONU la décision de l’emploi de la force. Mitterrand, par exemple, n’avait pas attendu l’ONU pour faire des représailles au Liban.

L’incertitude qui demeure est de savoir s’il y aura davantage de tensions sur les réseaux organisés ou sur les États voyous. Rumsfeld a conseillé à plusieurs reprises de parler plutôt de guerre contre la violence organisée que de guerre contre la terreur. Il y a une tendance à l’intérieur même de l’administration à adapter le discours. Bush cependant garde la formule de guerre contre la terreur.

BT: Une des évolutions très peu perçues en France est le recentrage américain de la guerre contre la terreur. Fin 2005, plusieurs discours de Bush ont montré une redéfinition de la guerre contre la terreur comme une guerre contre une idéologie. Face au danger de glisser de la guerre contre la terreur à la guerre contre l’islam, ou à une ” guerre sans fin “, cette orientation est notable.

Il y a aujourd’hui une compétition entre deux pouvoirs et peut-être entre deux légitimités : l’Amérique et l’ONU. Il faut souligner que les deux termes majeurs utilisés par la France, ” multipolarité ” et ” multilatéralisme “, sont très ambigus. On peut démontrer que multilatéralisme s’applique même à la démarche américaine, comme j’ai pu en donner quelques exemples. La multipolarité est encore plus difficile à définir : est-ce un état du système ou un paradigme, un idéal à atteindre ? Les deux définitions se retrouvent dans le discours français. Face à ce flou définitionnel s’ajoute une incompréhension entre Américains et Français. Les États-Unis entendent ce discours français comme prônant un retour à l’équilibre des puissances et à un système qui, pour eux, a fait faillite en Europe. Certains pensent en France qu’il est illogique que les Américains, qui prônent chez eux la balance of power et l’équilibre des pouvoirs comme normes de la démocratie, ne l’acceptent pas dans le système international. Certains textes officiels américains peuvent cependant évoquer la multipolarité, sûrement de manière ambiguë. Ainsi la National Security Strategy, publiée en 2002, défend l’objectif d’un monde de compétition pacifique entre les grandes puissances. Cette formule apparaît comme une sorte de compromis entre l’école néoconservatrice et l’école réaliste. L’unipolarité n’est sans doute ni aussi bonne que le prétendent les États-Unis ni aussi mauvaise que le veulent les Français.

PH: Le monde ne peut pas être et n’est pas strictement unipolaire, sauf en ce qui concerne les capacités militaires américaines. La multipolarité est toujours présente si l’on entend par là la multiplicité des centres d’influence et de résistance. En termes de puissances étatiques comparables, elle a des chances d’apparaître au XXIe siècle mais au profit de l’Asie plus que de l’Europe. Surtout, les limites internes et externes de la puissance ne doivent pas être oubliées. Ainsi, l’historien anglais, Niall Ferguson, dans Colossus, définit trois déficits ne permettant pas aux États-Unis d’être un empire. Le premier est la dépendance économique (ils ont besoin des Chinois et des Japonais, notamment en raison de leur déficit financier), puis un déficit d’hommes dans l’action militaire puisqu’ils ne veulent pas rétablir le service militaire obligatoire (ils peuvent bombarder un pays, mais il leur est ensuite difficile de l’occuper et d’y assurer la sécurité), enfin un déficit de continuité d’attention (ils s’intéressent à un pays puis à un autre). Les trois déficits ont à voir avec la nature de la société moderne et celle du régime américain. Une démocratie capitaliste, qui doit tenir compte d’une population individualiste et d’une opinion fluctuante, peut difficilement être un empire. En un mot, le principal contrepoids à l’empire américain, c’est la société américaine, qui n’est pas prête à accepter le coût humain, économique et parfois moral que suppose la position impériale.

Pour l’instant, il n’y a pas de grandes puissances capables de lui faire contrepoids, mais tous s’arrangent pour limiter, saboter la puissance dominante, créant un certain contre-pouvoir diffus.

BT: Oui, on a pu parler à ce propos de soft balancing. L’éditorialiste William Pfaff soulignait en 2002 le caractère historiquement exceptionnel de la situation actuelle, où presque toutes les grandes puissances se retrouvent sur le même bord. La puissance américaine me semble durable et certains obstacles annoncés ne semblent pas être nécessairement valables. Par exemple, on évoque souvent les déficits économiques, le déficit commercial et de balance des paiements. Mais tant que l’Amérique aura le même dynamisme démographique et économique, et le même potentiel d’innovation scientifique et technique, il lui sera possible de contourner l’obstacle des déficits ; d’autant plus que le reste du monde est disposé à les financer, y compris la Chine. Et comme le dit à juste titre l’analyste Barry Posen, ” l’Amérique commande les espaces communs “, c’est-à-dire les mers, l’air, l’espace et le cyberespace. La puissance américaine est durable car inégalée. Ces données ne sont pas réunies ailleurs. L’Europe et le Japon ont la capacité d’innovation mais pas le dynamisme démographique ; la Chine et l’Inde ont le dynamisme économique, mais ont très peu de capacité à l’innovation, et ont leurs propres problèmes démographiques, notamment un surplus de population masculine. La Chine, en outre, va ” vieillir avant de devenir riche “.

La puissance américaine n’est pas pour autant comparable à un empire, même si l’on s’intéresse aux données strictement militaires. Voyez la géographie des bases militaires américaines à l’étranger : celles-ci ne sont pas ouvertes sur le pays mais fermées sur elles-mêmes, retranchées, et les Américains ont tendance à en réduire le nombre. Certes, il restera une base en Irak, comme cela avait été le cas avec le Kosovo, le Koweït et l’Afghanistan. Mais rien qui ressemble à l’empire romain ou à l’empire britannique.

BT: Je ne considère pas que l’Europe doive être un contrepoids. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment ce que cherche la France à travers le projet européen, contrairement à ce que pensent les États-Unis. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a un décalage entre trois mondes aujourd’hui, l’Europe, l’Asie et l’Amérique. L’Europe a dépassé le XXe siècle, peut-être au risque de l’avoir oublié. L’Amérique, pour sa part, a l’impression de revivre le XXe siècle en assimilant la guerre contre le terrorisme aux grands conflits du passé, mais elle n’arrive pas à entraîner les autres pays dans sa démarche. L’Asie, elle, n’est pas sortie du XXe siècle. Sa vie internationale est encore rythmée par les conflits du siècle dernier, en termes de contentieux historiques et de litiges territoriaux.

Il y a à ce sujet un débat sur l’avenir de l’Asie, lancé notamment par Aaron Friedberg, devenu ensuite responsable de l’Asie dans l’équipe de Dick Cheney, sur le thème : ” Le passé de l’Europe sera-t-il le futur de l’Asie ? ” On évoque, non sans raison à mon sens, la possibilité d’un ” 1914 asiatique “. Des contentieux se matérialisent autour d’enjeux symboliques, politiques et économiques, qui sont des îlots ou des zones maritimes contestées. L’enjeu le plus important étant celui de Taïwan.

PH: Le modèle centre-périphérie a éclaté, comme l’opposition Nord-Sud. Une catégorie intermédiaire, de plus en plus importante, a fait son apparition : celle des pays émergents qu’on a appelé les BRIC countries pour désigner l’ensemble Brésil, Russie, Inde et Chine, qui, malgré des différences évidentes (en particulier pour ce qui concerne la Russie), ont des intérêts convergents par exemple dans les négociations de l’OMC. On observe un certain décentrement, des rapports croissants entre les ex-périphéries. Sans suivre le modèle de Huntington, nous pouvons penser à long terme qu’Européens et Américains se retrouveront autour des valeurs occidentales et de démocratie libérale dans un monde où elles ne seront plus dominantes et eux non plus et où il leur faudra à la fois s’ouvrir, s’adapter et ne pas renoncer à leur message. Il faut repenser l’ordre international et celui des territoires suivant ce schéma, entre ouverture et fermeture.

BT: Le risque est que le combat occidental pour les valeurs universelles soit affecté aujourd’hui par les excès américains, qui tendent à décrédibiliser ce combat. Il est pourtant souhaitable que l’émergence de nouvelles puissances ne mette pas en cause la poursuite de la démocratisation.

PH: Les Américains doivent surmonter leurs tentations impériales et les Européens leurs tentations ” passivistes ” encore plus que pacifistes.

BT: On peut partager la démarche américaine sans en approuver tous les moyens. Beaucoup de gouvernements et les opinions européennes sont allés trop loin dans la posture d’opposition.

PH: En théorie, nous sommes pour les progrès de la démocratie. L’ouverture à l’Europe centrale et aux Balkans a été positive mais elle risque d’être bloquée après les référendums négatifs sur la constitution européenne. C’est par la promesse conditionnelle de l’adhésion que l’Union européenne a été spécialement efficace en faveur de la paix et de la démocratie. Si cette porte se referme, que restera-t-il ?

BT: L’Europe peut montrer un autre visage de l’Occident, pour qu’il ne soit ni assimilé à l’Amérique, ni à un vaste ensemble homogène où tout le monde se ressemble. Les États-Unis comme l’Europe doivent à leur manière parvenir à un recentrage.

Propos recueillis par Nathalie Lempereur, Olivier Mongin et Marc-Olivier Padis

Published 3 March 2006
Original in French
First published by Esprit 2/2006

Contributed by Esprit © Pierre Hassner, Bruno Tertrais/Esprit Eurozine

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