L’infodémie est aussi virulente que la pandémie
Des accusations de génocide aux prétendus remèdes, la pandémie de coronavirus entraîne une série de théories du complot. Celles-ci sont perpétrées à la fois par des sites “attrape-clic”, mais aussi par les régimes autoritaires ou illibéraux qui exploitent la peur à des fins politiques et cherchent à distraire l’opinion publique de leurs réponses défaillantes.
Les théories du complot et les rumeurs se répandent souvent à la suite d’événements négatifs, surtout si ces événements sont nouveaux et en partie inconnus. C’est exactement ce qui s’est passé dans le cas du coronavirus.
Le problème va bien au-delà des sites de désinformation “attrape-clic” (clickbait). Alors que la police hongroise a réprimé certains sites de désinformation en semant la panique autour du coronavirus, le gouvernement hongrois, en particulier lors de la première phase de l’épidémie, a utilisé les médias à sa botte pour diffuser lui-même des informations sur les sources et l’origine de la crise, dans un remarquable effort de communication.
Corona, le roi de la désinformation
Tandis que les craintes au sujet de l’épidémie de coronavirus COVID-19 se répandent dans le monde entier, les campagnes de désinformation sont de plus en plus efficaces. Outre les sites web “attrape-clic”, qui cherchent à tirer profit de la diffusion d’informations fausses et sensationnelles sur le virus, des acteurs géopolitiques intéressés à semer le chaos au sein de l’information sont également entrés en scène. Comme l’a résumé un fonctionnaire de l’OMS, il s’agit d’une “infodémie”, au moins aussi dangereuse que le virus lui-même, car la désinformation se répand plus rapidement et plus facilement, provoquant d’énormes dégâts.
La désinformation ne conduit pas seulement à de fausses croyances. Elle peut coûter des vies et entraîner des troubles sociaux. Deux moyens dangereux de diffuser de l’infox sur le virus peuvent être la banalisation/le déni et l’exagération/la panique. En Corée du Sud, par exemple, nous avons vu le premier cas, où une secte de 200 000membres a nié l’existence du coronavirus et a affirmé que son invention n’était qu’un complot mis en scène par le gouvernement, ce qui a contribué de manière significative à la propagation du virus, entraînant de nombreux décès.
Un exemple réussi de panique a été observé récemment en Ukraine. Une fausse lettre a été envoyée au nom du ministère de la santé, déclarant que le coronavirus était apparu en Ukraine. Le canular a été lu par une grande partie de la population, ce qui a provoqué des protestations et quelques affrontements violents, les manifestants ayant même pris d’assaut un bus arrivant de Chine. On soupçonne fortement que cette désinformation a été favorisée par la Russie.
Il existe des cas encore plus évidents : des sources russes ont diffusé de nombreuses fausses informations et des récits contradictoires sur le coronavirus, niant son existence et prétendant en même temps qu’il s’agit d’une arme biologique crée par l’Occident. Le secrétaire d’Etat adjoint américain pour l’Europe et l’Eurasie Philip Reeker a indiqué la Russie comme l’une des sources d’infox liée au coronavirus.
D’autres régimes autoritaires ont également été très actifs dans la diffusion de ces infox. Le cas le plus frappant est celui de la Chine, où le virus a débuté. Dès le début, certains éléments de désinformation diffusés par la Russie et la Chine ont voulu faire porter la responsabilité du virus aux Etats-Unis, en prétendant qu’ils l’avaient créé comme une arme biologique. Ce récit a même été récemment réfuté par de hauts fonctionnaires chinois, puisque des diplomates chinois ont appelé les Etats-Unis la source du virus, le porte-parole du département de l’information du ministère chinois des affaires étrangères affirmant que “c’est peut-être l’armée américaine qui a amené l’épidémie à Wuhan“. Ce mensonge flagrant vise à détourner la responsabilité du Parti communiste chinois – l’acteur politique qui est principalement responsable de la propagation mondiale du virus depuis le tout début.
L’Iran est probablement l’exemple le plus important de la manière dont les réflexes typiques des régimes autoritaires, le déni et le fait de trouver un bouc émissaire à l’Etat, ainsi que faire semblant que la crise elle-même n’existe pas, peuvent conduire à un scénario encore plus meurtrier. Afin d’augmenter la participation électorale pour légitimer le régime, la propagande gouvernementale a pratiquement nié l’existence du virus, prétendant qu’il s’agit seulement de la dramatisation des nouvelles américaines sur le virus, afin de dissuader les électeur de se rendre aux urnes. Conformément à cette théorie du complot, le gouvernement a augmenté la pression sur les citoyens et les médias. Le résultat est connu : environ 14 000 cas officiels de coronavirus et près de 800 décès – et les chiffres réels sont probablement plusieurs fois plus élevés.
La Hongrie : un paysage d’infox hybride
En Hongrie, on a pu observer deux types de désinformation. À la marge, on trouve des sites d’infox “attrape-clic” qui existent dans toutes les sociétés démocratiques, abusant de la liberté d’expression et remettant en cause les récits couramment admis. Mais ceux-ci sont également impliqués : les médias directement gérés par le gouvernement et les médias pro-gouvernementaux forment un chœur avec les déclarations officielles du gouvernement. Ce groupe présente des similitudes avec la désinformation parrainée par l’Etat dans les régimes autoritaires dont il a été question plus haut.
Infox sur les sites “attrape-clic”
Les principaux coupables de la désinformation sur le coronavirus au début étaient les portails en ligne qui cherchaient à profiter financièrement de la situation. Leur principale source de revenus est la publicité. On peut souvent voir les publicités des grandes multinationales sur ces sites, par exemple via Google Ads.
Nous avons sélectionné 12 pages Facebook de désinformation influentes en Hongrie, avec plus d’un million de followers au total, et avons surveillé leur contenu et la diffusion des messages à l’aide du logiciel d’écoute sociale de SentiOne.1
Infographie basée sur les données de Political Capital, par Attila Bátorfy / ATLO Team.
Les contenus partagés par les 12 sites ont suscité une attention considérable. Les 200 messages ont déclenché plus de 21 000 interactions, 3 700 commentaires et 22 000 actions (au 27 février). Le nombre élevé de partages est particulièrement inquiétant, car il a probablement permis à ces récits d’atteindre un nombre encore plus important d’utilisateurs de réseaux sociaux. Sur la base du nombre de followers de ces pages et des données d’interaction, nous avons des raisons de croire que les infox que nous avons découvertes ont pu atteindre des centaines de milliers d’utilisateurs parlant le hongrois.
Et quels étaient ces récits ?
Nous avons trouvé quatre grandes catégories d’infox diffusées au sujet de l’épidémie de Covid-19.
Le premier groupe est constitué de “théories du génocide” suggérant que quelqu’un répand délibérément le virus pour atteindre un certain objectif. Le récit le plus typique de ce groupe affirme que “l’élite mondiale” – y compris, entre autres, Bill Gates – cherche à décimer la population de la Terre. La “théorie de Bill Gates” a même été évoquée par le portail pro-gouvernemental Demokrata, mais elle était généralement plus populaire sur les sites marginaux “attrape-clic”. Cette théorie se rattache à une narration de type populiste.
Le deuxième groupe comprend les “théories des armes biologiques”, que nous avons également mentionnées plus haut. Les théories typiques de ce groupe prétendent qu’une arme biologique est utilisée contre la Chine lors d’une “troisième guerre mondiale”. Un récit spécifique prétend, par exemple, que les Etats-Unis sont à l’origine de l’épidémie pour “mettre l’économie chinoise à genoux”. Cette théorie s’inscrit parfaitement dans le récit géopolitique bien connu souvent diffusé par la Russie et la Chine qui suggère que les Etats-Unis agissent de manière hostile contre tous leurs rivaux supposés, même si cela implique de violer les conventions internationales.
Dans le même temps, des théories du complot suggèrant que le virus a été propagé par la Chine et a été créé comme arme biologique un laboratoire militaire à Wuhan ont également beaucoup circulé. La caractéristique commune est l’affirmation que le coronavirus ne s’est pas produit naturellement, mais serait le résultat d’un plan spécifique visant à anéantir un groupe de personnes.
Les profils de ces pages varient entre les sites “piège à clics” généralistes (blog Mindenegyben) et les sites anti-vaccination (Oltáskritikus Életvédők Szövetsége). SentiOne a trouvé 8 478 articles entre le 11 janvier et le 11 février, dont la plupart ont été publiés par des médias grand public. Les 12 sites sélectionnés étaient responsables de 200 d'entre eux. Leur intérêt pour le virus a commencé à augmenter vers le 26 janvier et a considérablement diminué lorsque notre recherche s'est terminée, le 11 février. Cependant, lorsque les nouvelles de la détérioration de la situation en Italie et en Corée du Sud sont arrivées fin février, leur intérêt a de nouveau atteint un sommet.
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