Personne ne sait très bien comment nous vivrons demain. Les conjectures économiques pour l’année 2050 ne sont pas sérieuses puisqu’elles ne permettent déjà pas de prévoir à deux ans le taux de croissance, le niveau des taux d’intérêt et le taux de chômage. En ce qui concerne la météo, il n’est déjà plus possible de prévoir le temps au-delà de deux semaines. Au contraire, dans le cas du développement de la population, nous avons à faire à un processus beaucoup plus lent, qui cependant progresse avec une certaine inexorabilité.
C’est pourquoi le vieillissement démographique est une des tendances les plus facilement identifiables du XXI siècle. Dans ce domaine du développement de la société, l’avenir est bien prévisible. Nous arrivons à appréhender la période des 40 à 50 prochaines années. Pour les plus jeunes, c’est aussi une grande partie de leur durée de vie. Ainsi, par exemple, les écoliers de 2012, les travailleurs de 2025 et les retraités de 2050 sont déjà tous parmi nous. Ils ont un nom, ils ont une adresse. On pourrait presque leur envoyer aujourd’hui un contrat inter-générationnel ou un futur contrat de travail. Pour le contrat inter-générationnel, toutefois, se pose le problème dû au fait que ceux qui devront le financer un jour ne sont pas en âge de signer ou tout simplement ne sont pas encore nés.
Dans l’espace d’un demi-siècle que l’on peut appréhender, notre comportement actuel peut agir de façon visible sur les structures de demain. Les enfants qui aujourd’hui ne viennent pas au monde manqueront demain comme jeunes et après-demain comme adultes. De ce fait, 25-30 ans plus tard, il y a moins de parents potentiels. Cela signifie alors en nombres absolus moins de naissances.
Vieillissement global et spécificités européennes
Le vieillissement démographique est une tendance globale. Le nombre de personnes âgées augmente presque partout dans le monde. La cause principale est l’allongement de la durée de vie. L’Europe est à ce titre en pointe, avec le Japon. Il est donc assez facile de prévoir qu’au total, la population de l’Europe vieillit fortement et ne croît presque plus. Le développement est bien différent dans les régions avoisinantes : en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il y aura bientôt là-bas une population jeune et croissante. Les états membres de l’UE et de l’Espace économique européen, les états de la Communauté des États indépendants (CEI) et des Balkans ont quant à eux un autre problème commun : dans presque tous ces pays, la population locale en âge de travailler va au mieux stagner et peut-être même baisser. Du coup, les forces de travail disponibles dans le pays vont devenir de plus en plus justes, ce qui avec le temps devrait influencer les performances économiques et le système de sécurité sociale, puisqu’en effet, en même temps, le nombre de personnes âgées augmente.
En 2005, l’Europe comptait 472 millions de personnes, en comptant l’espace de l’UE (alors à 25), l’espace économique européen et la Suisse. Parmi eux, 317 millions étaient en âge de travailler, soit entre 15 et 65 ans et parmi ceux-ci, 227 millions étaient réellement actifs.
Pour la période jusqu’à 2050, la tendance est assez claire : sans immigration, la population de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe centrale diminuerait de 57 millions de personnes jusqu’en 2050. Il resterait alors encore 415 millions d’habitants. A cause du nombre trop faible d’enfants, la population locale en âge de travailler se réduirait de 88 millions. Ainsi ne resterait-il plus que 229 millions de personnes en âge de travailler.
Toutefois, tous les jeunes et tous les adultes ne sont pas nécessairement dans la vie active ou à la recherche d’un emploi. Si la part des actifs restait identique, la population active réelle en Europe de l’Ouest et en Europe centrale serait réduite en 2050 de 66 millions pour parvenir à seulement 161 millions. Ces 161 millions de personnes devraient alors entretenir une population vieille, croissant très rapidement. En effet, en Europe centrale, le nombre de personnes âgées (65 ans et plus) va augmenter de 48 millions d’ici 2050. D’autres régions européennes sont aussi concernées par ce développement. En Russie et dans les états européens de la CEI, la diminution de la population active va avoir lieu de façon plus encore drastique.
Au contraire, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Turquie et en Asie centrale, il faut compter quoi qu’il arrive jusqu’en 2050 sur un accroissement de la population. Sur cette même période, de plus en plus de personnes vont atteindre l’âge de travailler. Toutefois, les possibilités d’emploi étant réduites dans ces régions du monde, de nombreux jeunes ou jeunes adultes vont rester chômeurs ou sous-employés. Ainsi par exemple, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (en excluant les pays du Golfe), le groupe des 15-65 ans va passer de 195 millions de personnes à près de 290 millions jusqu’en 2050. En 2050, il devrait y avoir là-bas 365 millions de personnes en âge de travailler. En Turquie et en Asie centrale, l’augmentation est un peu moindre, que ce soit en valeur absolue ou relative.
La situation actuelle de l’Europe
En 2005, parmi les 472 millions d’habitants en Europe de l’Ouest et en Europe centrale, il y avait environ 42 millions d’immigrants, c’est-à-dire des gens dont le lieu de naissance est dans un autre pays européen ou outre-mer. Le nombre d’habitants en Europe de l’Ouest et en Europe centrale s’est accru au début du XXI siècle d’environ 2 millions par an. A peu près 85 pour cent de cet accroissement vient d’émigration d’états hors de l’Union européenne. Contrairement à cela, la population a largement diminué dans de nombreux pays des Balkans et dans tous les pays issus de l’ancienne Union soviétique. L’Irlande a une population locale croissante, ainsi que quelques pays qui ont une grande part de musulmans dans leur population. Il en va ainsi de l’Albanie, de la Macédoine et de la Turquie, tout comme du Kosovo qui pourrait bientôt devenir indépendant. Dans un autre groupe de pays, qui inclut notamment la France et les pays scandinaves, le nombre d’habitants locaux va rester à peu près le même. D’importantes parties de l’Europe centrale ou du sud, au contraire, voient leur avenir avec une population locale nettement en recul. Le développement auquel on peut s’attendre en Russie est plus dramatique que ce qu’on peut voir en Europe de l’Ouest ou en Europe centrale. En 2005, la Russie n’avait plus que 148 millions d’habitants, dont 15 millions de migrants. Sans une immigration massive, ce pays n’aurait plus au milieu du XXI siècle que 100 millions d’habitants.
A travers la réduction de la population, et surtout de la population active, une situation de concurrence apparaît à plus ou moins long terme entre les pays européens. Car la question se pose pour la Russie tout comme pour la République tchèque, la Hongrie, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, de savoir qui va accomplir le travail nécessaire et d’où vont venir les travailleurs.
Le développement démographique est assez facile à décrire et il est bien prévisible. Il y a cependant – comme l’histoire de ces 100 dernières années l’a montré – un potentiel limité de déviations dramatiques possibles par rapport à ces développements attendus. Pour les diminutions massives de population, trois facteurs ont pu jouer sur cette période : les guerres, les épidémies de grippe ainsi que les exodes de masse et les génocides. Du point de vue actuel, au niveau régional ou national, une catastrophe sur un réacteur au cours de laquelle de grandes quantités de matières radioactives seraient libérées aurait des conséquences catastrophiques comparables pour la population concernée. Il en va de même pour des maladies virales mortelles qui se transmettent d’homme à homme et pour lesquelles nous ne disposons pas de moyens médicaux contre l’agent pathogène. Des exemples seraient ici le virus Ebola ou l’agent responsable de la grippe aviaire.
Le vieillissement démographique et l’allongement de l’espérance de vie
Le vieillissement démographique n’est pas un processus biologique. Les êtres vivants sont soumis au vieillissement biologique, par conséquent nous aussi, mais nous devrions aussi vieillir dans une société qui elle, rajeunit. C’est un fait, dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu nettement plus de jeunes que de vieux. Au XIX siècle, la part de la population de moins de 20 ans représentait près de 50 pour cent. Les plus de 65 ans représentaient une petite minorité. Cette situation se retrouve aujourd’hui dans de nombreux pays en voie de développement. Nous sommes au contraire au seuil d’une société dans laquelle, pour la première fois, il y aura plus de vieux que de jeunes. En Europe, cela va rester ainsi pendant le reste de notre vie. On ne voit aucun processus permettant de penser que ceci sera modifié d’une façon ou d’une autre. Même les migrants ne peuvent pas changer grand chose car, en règle générale, ils arrivent en tant qu’adultes (jeunes la plupart du temps), et vieillissent ici comme la population locale. Le vieillissement démographique a deux causes, qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. La première cause est pour nous très positive : nous appartenons à la génération qui a la durée de vie la plus longue dans l’histoire de l’humanité. Aucune génération avant la nôtre n’a eu d’espérance de vie aussi longue. Et encore mieux : la fin de cette tendance n’est pas en vue. Ainsi, l’espérance de vie continue d’augmenter, d’un point de vue statistique, de deux ou trois mois par an. Comme en outre la mortalité des nourrissons et enfants est devenue très réduite, il s’agit pour l’essentiel d’un gain au-delà de la 50 année de vie.
Au total, l’espérance de vie a doublé en Europe pendant le XX siècle. Encore à la fin du XIX siècle, il n’était pas rare de mourir jeune : beaucoup mouraient en étant enfants, jeunes et de très nombreux au stade de jeunes adultes (vu d’aujourd’hui). Que l’on pense seulement à Mozart, Büchner, Schiller ou Schubert. On peut aujourd’hui supposer que la plupart des gens qui atteignent l’âge de 5 ans vivront aussi à l’âge de 65 ans, voire 70, 80 ou 90. Pour nos plans de vie, c’est tout à fait important de ne pas avoir à compter tous les jours avec la mort. Du coup, lorsqu’ aujourd’hui quelqu’un meurt à l’âge de 45 ans, que ce soit d’un cancer, d’un accident de circulation ou d’un suicide, cela nous semble venir ” avant l’heure “. Il s’agit d’un phénomène très récent d’un point de vue historique.
Jusqu’au XIX siècle, l’idée de mourir ” avant son heure ” n’existait pas car le fait de mourir pouvait survenir à tout moment, à tout âge. Cela faisait partie du quotidien car jusqu’au début du XX siècle, de nombreuses maladie infectieuses et mortelles décimaient la population. Ces maladies jouent encore un rôle dans peu de parties développées du monde. En Europe, nous contrôlons dans l’ensemble les maladies infectieuses mais nous mourons à la place de ces maladies qu’on nomme ” maladies de civilisation “. Il s’agit surtout des maladies cardio-vasculaires, en particulier de l’infarctus, mais aussi du cancer. Nous sommes parvenus, ces 20 dernières années, à limiter également ces maladies. Un infarctus ne signifie plus aujourd’hui la fin de la vie. Bien plus de la moitié des concernés survivent à un premier infarctus. Pour le cancer aussi, il y a aujourd’hui de meilleurs dépistages et des thérapies qui s’annoncent prometteuses.
Puisque nous rencontrons tant de succès dans les domaines du dépistage et du traitement des maladies de civilisation, on s’oriente vers un avenir dans lequel d’autres maladies vont dominer, comme la démence sénile, la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, le diabète sucré mais aussi l’incontinence. Tout cela représente des maladies qui limitent notre qualité de vie, mais dont on ne meurt pas, du moins pas tout de suite. Les années gagnées ne signifient donc pas seulement un allongement de la durée de vie, elles représentent aussi un coût dans l’organisation que suppose cet allongement face aux processus dégénératifs chroniques qui signifient qu’un jour ou l’autre, nous aurons besoin de soins.
Au cours du XXI siècle, notre espérance de vie va probablement encore croître de 20 ans. Si l’on extrapolait à partir du rythme de cette dernière décennie – soit plus trois mois par an –, le gain serait d’ailleurs encore plus important. En tout état de cause, cela signifie qu’un enfant qui viendrait au monde aujourd’hui aurait toutes les chances de vivre encore au XXII siècle.
La baisse du nombre d’enfants
Le vieillissement démographique a encore une deuxième cause, à laquelle est liée une mauvaise nouvelle : nous ne sommes pas seulement la génération qui vit le plus longtemps de toute l’histoire de l’humanité, nous sommes aussi celle qui, de loin, vit dans la société la plus pauvre qui soit en enfants. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, il n’y eut de génération avec aussi peu d’enfants. Notre nombre moyen d’enfant est en Allemagne et en Autriche de 1,4 enfant par femme. En Europe de l’Ouest, l’Espagne, le Portugal et la Grèce ont des nombres d’enfants encore plus bas. En Europe centrale et orientale, c’est dans les pays baltes, en Hongrie et en Slovénie que les nombres d’enfants sont les plus bas. Il y a au contraire des nombres plus élevés, d’une part en France, en Irlande et dans les pays scandinaves, et d’autre part dans les pays et régions avec d’importantes populations musulmanes. Ceci concerne particulièrement l’Albanie, le Kosovo, la Macédoine et la Turquie, toutefois pas la Bosnie.
Au XIX siècle, le nombre d’enfants par femme en Europe était de 4,5 enfants. Ce n’était toutefois que la moitié de ce qui aurait été biologiquement possible avec l’espérance de vie de l’époque. Cela rend compte implicitement des formes historiques du contrôle des naissances, longtemps avant l’introduction de la pilule contraceptive à la fin des années 60 et la légalisation de l’interruption de grossesse au milieu des années 70.
Au milieu du XX siècle, dans les années 1950 et 1960, il y eut la dernière grande vague de naissances, correspondant à ce qu’on appelle le baby-boom de l’après-guerre. Depuis environ 1970, nos nombres d’enfants se situent sous le seuil de 2 enfants par famille et la génération des parents n’est plus complètement remplacée par la génération des enfants. Depuis cette époque, un ” déficit ” s’établit au regard des parents potentiels. Pendant longtemps, ce déficit n’était pas visible car dans les dernières décennies, la génération des baby-boomers a eu des enfants et on ne manquait alors pas de parents potentiels. Toutefois, ceci est maintenant passé.
Changements dans la structure des âges
Notre avenir démographique est largement conditionné par les développements du passé. C’est pourquoi, à partir des données démographiques, on peut toujours trouver des morceaux d’histoire. La structure des âges en Europe était encore représentée jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale par une vraie pyramide. Aujourd’hui, une telle structure se trouve encore dans quelques pays en voie de développement. De telles pyramides des âges s’observent encore du fait que des hommes meurent à tous les âges, souvent à cause de maladies infectieuses. Au début du XXI siècle, la structure des âges de nos pays européens ne mérite plus le terme de ” pyramide “. Le poids s’est déplacé des jeunes vers les vieux. Au sommet de la structure des âges, il y a nettement plus de femmes que d’hommes. Cela n’est pas seulement lié à la plus grande espérance de vie des femmes à partir d’un certain âge. Les suites tardives de la Seconde Guerre mondiale ont aussi un rôle déterminant en raison du nombre élevé de morts dus à la guerre dans la population masculine. Dans les pays concernés comme l’Allemagne et l’Autriche, on se plaint aujourd’hui de problèmes de financement pour le paiement des retraites ainsi que pour les soins, bien que du côté des hommes, il manque la moitié de la génération de ceux qui sont nés avant 1928. S’il n’y avait eu que des temps de paix depuis la Première Guerre mondiale, bien plus d’hommes âgés vivraient encore aujourd’hui. Dans ce cas, il y aurait aussi bien plus de retraités, hommes et femmes, que l’on devrait financer à partir des contributions et des revenus actuels des impôts.
Par ailleurs, la répartition des âges montre aussi deux classes d’âge largement représentées : d’un côté ceux qui sont nés juste avant ou juste après 1940, et de l’autre, ceux qui sont nés à la fin des années 1950 et 1960, c’est-à-dire les baby-boomers. Pour les plus jeunes, il s’agit déjà des générations marquées par les baisses de naissances et les faibles nombres d’enfants (de leurs parents).
Tant que la génération du baby-boom avait des enfants, il y avait toujours assez de naissances, malgré le nombre assez bas d’enfants par famille. Maintenant, ce sont les classes d’âge ” faiblement ” représentées qui ont atteint l’âge adulte. Il est donc tout à fait sans risque de pronostiquer que les nombres annuels de naissances en Europe vont continuer à diminuer. Cela va avoir des effets durables sur la structure des âges de notre société au XXI siècle. La génération du baby-boom, avec les classes d’âge les plus importantes du XX siècle, va encore dominer d’un point de vue quantitatif pendant longtemps. Lorsqu’un jour les derniers membres de la génération du baby-boom mourront, les classes d’âges avec de fortes naissances feront partie de l’histoire. Il en sera alors fini du grand décalage des âges dans nos sociétés.
Effets économiques du processus de vieillissement
Que signifie le vieillissement démographique pour l’économie ? Ce qu’on peut prévoir, quoi qu’il en soit, c’est un manque de main-d’¦uvre locale. En effet, il y aura toujours moins de jeunes gens dans les décennies à venir qui sortiront du système éducatif avec un savoir neuf pour entrer dans la vie active. En même temps, l’effectif du groupe des personnes âgées qui quittent le système de la vie active pour prendre leur retraite augmente inexorablement. Ceci va très probablement conduire dans de nombreux pays européens à des manques de main-d’¦uvre qualifiée. En même temps, cette dynamique esquissée signifie que le renouvellement de notre savoir se ralentit, dans la mesure où il est produit et se transmet dans notre système éducatif financé par l’état. Il y a également des indices qui montrent que le vieillissement démographique mène dans une société à une baisse de la capacité d’innovation ou du moins à une baisse du potentiel d’innovation. Il est finalement clair que le vieillissement démographique déplace la demande sectorielle. Les sociétés vieillissantes nécessitent moins de sages-femmes et de pédiatres, moins de crèches, d’école et de discothèques, mais davantage de maisons de retraites, de soins à domicile et de services de gériatrie dans les hôpitaux. En ce qui concerne le tourisme, les forfaits pour la famille sont délaissés au profit des voyages culturels ou des visites de villes. Les sociétés vieillissantes ont besoin de moins de couches pour les enfants mais de plus de lunettes de lecture et de dentiers.
Actuellement, l’effet sur les marchés financiers de l’important vieillissement démographique n’est pas très clair. Certains pensent que ces effets ne sont pas discernables. Ils supposent que, considérant les faibles taux d’intérêts en Europe, nous allons à l’avenir investir sur les marchés qui sont en plein développement en Asie et en Amérique latine et qui, du point de vue du placement des capitaux, sont plus rentables. D’autres font l’hypothèse d’un effet durable, dès que la génération des baby-boomers sera à la retraite et que les baby-boomers voudront vendre leurs placements pour améliorer leurs retraites. Ce qui est relativement incontestable, c’est le changement de comportement quant à l’épargne et au placement. Toutes les études empiriques montrent jusqu’à présent que sur la durée, les actions ont battu toutes les autres formes de placements en terme de rentabilité. De ce fait, il est intéressant pour de jeunes gens de placer une partie de leur épargne en actions. Ceux qui ont encore 50 années à vivre peuvent être assurés que les taux de rendements seront plus hauts.
Ceux qui toutefois ont plus de 50 ans et prendront leur retraite d’ici 10 à 15 ans, ne devraient pas de prime abord être intéressés par les taux de rendements élevés à long terme. Au contraire, ils voudront combler les écarts possibles entre les retraites garanties par l’Etat et leur niveau de vie habituel. De ce fait, un intérêt se manifeste pour les formes de placement qui garantissent des rendements stables. On peut donc supposer que dans une société vieillissante, le comportement concernant les placements sera plus conservateur. Pour la génération du baby-boom, la question est aussi de savoir comment convertir les biens accumulés en revenus réguliers pendant leur retraite. Pour cela, une partie des biens en fonds ou en actions doit être vendue et placée autrement. Si nous étions dans un système fermé, il y aurait deux solutions : la jeune génération devrait augmenter significativement sa part d’épargne, ou les valeurs des actifs arrivant sur le marché devraient perdre de la valeur.
Ceci peut se discuter par exemple avec le marché de l’immobilier. Ceux qui veulent tirer des revenus d’un appartement acheté comme placement ont besoin de quelqu’un qui habite cet appartement et paye le loyer aux sommes correspondantes. On ne peut pratiquement pas obtenir de loyers élevés lorsque la population d’une région stagne ou diminue. Ce qui ne se loue pas, les propriétaires chercheront à le vendre et si on ne peut s’attendre à des revenus locatifs, cet appartement acheté comme investissement ne peut bien sûr se vendre qu’à une personne qui habitera elle-même dedans. Moins une région est habitée, plus la demande en résidences principales est faible. Il en résulte alors la question suivante lors de la réalisation de biens immobiliers dans une société vieillissante avec une population décroissante : est-ce qu’une grande partie de la jeune génération qui vient après moi a besoin de deux résidences plutôt qu’une ? Si l’on répond par la négative, il y a une offre surabondante qui peut transformer un placement immobilier prétendu sûr en une forme de placement générant des pertes.
Le problème se généralise : que se passe-t-il lorsqu’une génération nombreuse – dans notre cas la génération du baby-boom – se retire et essaye de transmettre ses biens à une génération numériquement plus faible ? Dans un système économique ou financier fermé, le cas le plus probable serait une perte de valeur de ces biens. Avec des revenus plus faibles du capital, le taux d’intérêt se corrigerait à la prochaine génération car les biens auraient alors moins de valeur. Les investisseurs européens pourraient cependant investir à temps sur les marchés des pays encore sous-développés, tant que les taux de rendement du capital sont plus élevés là-bas que chez nous.
Il est en tout cas prévisible qu’une population qui se réduit implique plus de dettes publiques par habitant. De moins en moins d’adultes doivent ” servir ” pour une dette publique qui reste la même ou même s’accroît. Cela veut dire payer des intérêts et plus tard rembourser, c’est-à-dire financer le remboursement. Des agences internationales de notation ont déjà réduit la valeur de la solvabilité de certains länder allemands parce qu’on a de moins en moins confiance dans les capacités à servir les dettes de régions comme le Mecklembourg – Poméranie occidentale, la Saxe-Anhalt et la Sarre, où la population diminue de façon significative. Ceci a des conséquences immédiates. La notation (ou rating) détermine en grande partie le taux d’intérêt, si bien que le service de la dette actuelle devient déjà plus cher aujourd’hui.
En fin de compte, le vieillissement démographique a des répercussions considérables sur notre système de sécurité sociale. Dans les conditions actuelles du marché du travail, le vieillissement signifie qu’il y aura plus de bénéficiaires des assurances pour la retraite, la maladie ou les soins dus à la dépendance, et en même temps moins de personnes pour cotiser. Ceci devrait aussi entraîner une hausse du prix des dépenses de santé car nous allons rester en vie plus longtemps avec les maladies dégénératives chroniques déjà évoquées. En même temps, on observe une augmentation implicite des dépenses publiques à cause des retraites futures déjà assurées. Cette dette publique implicite n’est en effet comptabilisée nulle part mais intervient dans les législations actuelles sur les paiements attendus des caisses de retraite, d’assurance maladie et de paiement des soins.
Défis
Le diagnostique est clair : notre société vieillit car l’espérance de vie augmente et ce qui individuellement est perçu comme la chance de vivre plus longtemps représente en somme un accroissement continuel du nombre de personnes âgées. Ce développement va marquer les 50 prochaines années. Toutefois, nous ne vivons pas seulement plus longtemps, mais nous avons en moyenne moins d’enfants que toutes les générations précédentes. De ce fait, le nombre de jeunes diminue. On doit déjà fermer des écoles primaires. Bientôt, cela va concerner les collèges. Ainsi, le nombre d’adolescents et de jeunes adultes récemment formés, entrant dans la vie active, va diminuer. Un vieillissement significatif et une possible réduction de la population active se profilent alors à l’horizon. Ceci va aussi bien toucher l’économie privée que le service public. Parallèlement, le poids démographique se déplace des jeunes vers les plus âgés. Le nombre des plus de 60 ans va doubler d’ici 2050 et celui des plus de 80 ans va même tripler. Cette évolution décrite ici pose à l’assurance vieillesse des problèmes considérables de financement puisque selon cette tendance, avec notre mode de financement des retraites par répartition, de moins en moins de jeunes doivent cotiser pour des retraités toujours plus vieux.
Face à un nombre toujours plus grand de personnes âgées et même très âgées, le système de santé se trouve également en face d’un énorme défi car le vieillissement démographique a comme conséquences presque automatiques des dépenses de santé plus importantes, même si les personnes âgées de demain devraient être en meilleure santé que celles d’aujourd’hui.
Le recul des maladies que l’on nomme maladies de civilisation, notamment le cancer et les maladies cardio-vasculaires, a en particulier pour effet que les hommes ne vivent pas seulement plus longtemps mais, avec l’âge, souffrent plus longtemps des maladies dégénératives chroniques déjà évoquées. C’est pourquoi, les soins dus à la dépendance seront de plus en plus nécessaires.
Les réseaux familiaux, qui jusque là assuraient gratuitement ce genre de soins, sont affaiblis par un nombre décroissant d’enfants, la baisse du nombre de mariage et l’augmentation des divorces. Si ceci aboutit à une situation de crise pour les soins, il faut que des professionnels interviennent à la place de ce réseau, ce qui augmente le coût des soins à long terme des malades chroniques. On peut se demander comment ces soins aux personnes âgées de demain devront être financés : surtout avec de l’argent public – donc par répartition – ou grâce à une importance contribution de ceux qui ont besoin de soins ou leur famille. Cette dernière hypothèse suppose des revenus (de la retraite) suffisants pour les personnes âgées, ou une assurance individuelle.
Solutions du dilemme
Il y a une série de réponses face aux défis qui ont été énoncés.
Prolongation de la durée de travail
Aujourd’hui, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Grèce mais aussi dans de nombreux autres pays d’Europe, il y a, si l’on compare, peu de femmes de plus de 55 ans et à peine d’hommes de plus de 60 ans, qui travaillent encore. C’est pourquoi la retraite dure plus longtemps. Prenons l’exemple de l’Autriche. On prend en moyenne sa la retraite à 58 ans. Comme dans des pays comparables du sud de l’Europe et de l’Europe de l’Est, il y a un nombre considérable de préretraités. L’espérance de vie (éloignée) pour ceux qui partent en pré-retraite est de 23 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes. Puisque toutefois cette espérance de vie continue d’augmenter, les Autrichiens ont, en 2006, au moment de leur départ à la retraite, en moyenne 26 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes d’allocations retraite devant eux. Cela va devenir un luxe pour nos sociétés européennes qu’en réalité nous n’allons plus pouvoir nous offrir, que de retirer des gens de la vie active si tôt et pour si longtemps. Quel contraste par rapport à la situation actuelle, dans laquelle le départ à la retraite le plus tôt possible ne représente pas seulement un allègement des coûts personnels et du marché du travail, mais aussi, pour la majorité, une part essentielle du plan de vie. L’augmentation de l’âge du départ à la retraite et l’harmonisation entre hommes et femmes concernant le taux d’activité supposent toutefois un marché du travail qui fonctionne bien pour les seniors. Aujourd’hui, il ne peut en être question dans une large partie de l’Europe. Sans un tel marché du travail pour les seniors, le problème de financement se décale de celui des retraites vers celui du chômage.
Ce qui est décisif, c’est que nous ayons la possibilité, pendant notre vie professionnelle, de toujours acquérir de nouvelles connaissances. C’est la condition essentielle pour être actif plus longtemps. Il faut aussi repenser toutes les formes de rémunération qui sont fondées sur l’âge ou l’appartenance à l’entreprise et non sur les performances réelles. Le schéma actuel des salaires et traitements implique que les employés plus âgés sont automatiquement plus chers que les plus jeunes indépendamment de la question de savoir s’ils sont plus productifs ou pas. Une rupture est aussi nécessaire avec les pratiques qui ont cours, consistant à rajeunir autant que possible les équipes d’encadrement et de management, tout en envoyant le personnel âgé en pré-retraite ou en les invitant à prendre des pensions d’invalidité.
Meilleure utilisation du potentiel local
Des taux d’activités élevés ne sont pas seulement possibles pour les seniors. Cela serait aussi utile que les jeunes puissent terminer leurs études et leur formation plus tôt, favorisant ainsi une entrée plus rapide dans la vie professionnelle. En même temps, on devrait à l’avenir en faire plus pour que les femmes reprennent leur vie professionnelle le plus rapidement possible après la naissance des enfants. Ceci exige d’une part des déroulements de carrière et des modèles de temps de travail plus conciliables avec la vie de famille et suppose d’autre part une offre importante sur tout le territoire en crèches et écoles ouvertes toute la journée.
Choix des immigrés par une politique migratoire active
Le recrutement de jeunes adultes qualifiés venant de l’étranger aide certainement à lutter contre la réduction de la population active. La condition pour cela est une politique migratoire active mais aussi un climat d’acceptation des immigrants. Sinon, les immigrants dont nous avons besoin, pour des raisons économiques, ne viendront pas en Europe de l’Ouest ni en Europe centrale. Car en effet, presque toutes les sociétés industrialisées ont le même problème démographique. Une concurrence mondiale se fait jour autour des immigrants attractifs : pas seulement entre les économies nationales européennes, mais aussi entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australie.
Une politique active de la famille
Il s’agit aussi de ne pas laisser chuter d’avantage le nombre d’enfants par famille, voire, selon les possibilités, de le faire remonter un peu. Pour cela, nous avons besoin d’une politique de la famille qui garde deux aspects bien en vue : offrir aux femmes une meilleure compatibilité entre la maternité et le travail, et encourager les hommes, par des incitations bien ciblées, à s’engager davantage dans la garde et l’éducation de leurs enfants (sur le plan émotionnel mais aussi en durée, voire sur le plan financier en cas de divorce). Toutefois, comme avec le recul des naissances du passé, le nombre de parents potentiels diminue, on ne doit pas attendre au total de la politique familiale une hausse des naissances.
Le renoncement à la consommation pendant la phase active ou à l’âge de la retraite
Les réformes des retraites des années passées ont signifié : on propose comme perspective aux futures générations de retraités moins de prestations garanties par l’état. S’ils ne font rien, ils doivent s’exercer au renoncement à la consommation lorsqu’ils entrent dans l’âge de la retraite. L’alternative à cela est claire : la génération active de ceux qui payent les cotisations peut aujourd’hui verser des cotisations plus élevées dans le cadre de caisses privées. Cela signifie cependant au présent un renoncement à la consommation. En même temps, le risque se déplace : à côté d’un financement des retraites par répartition apparaît un financement par capitaux, et peut-être aussi plus tard un système d’assurance maladie également en partie couvert par des capitaux. Cela signifie un déplacement d’une partie du risque de l’Etat financé par les impôts et des caisses de retraites et d’assurances maladie financées par les cotisations, vers le marché des capitaux et des ménages. Le futur niveau de vie de ces ménages va moins dépendre de la hauteur des revenus imposables mais davantage du développement des marchés des actions, des obligations et de l’immobilier, où sont placées leurs cotisations privées pour leur retraite. Dans ce contexte, une responsabilité particulière incombe à ceux qui proposent des services financiers. Ceci est surtout vrai pour les banques de détail, les caisses d’épargne, les assurances vie et les organismes qui proposent des fonds publics. Ils deviennent les outils principaux de la redistribution inter-temporelle des revenus, lorsque l’Etat social n’accomplit plus complètement cette tâche et lorsque par exemple les épargnants sont dépassés par les décisions concernant les placements, qui deviennent nécessairement individuelles.
Perspectives
Les solutions préconisées ne s’excluent pas mutuellement mais conduisent à des résultats différents : des prélèvement sociaux plus élevés et/ou des pensions plus faibles forcent à renoncer à la consommation. La stratégie des sociétés de plein emploi vise à une plus grande participation active des mères et des ” jeunes seniors ” de 55 à 70 ans. Un recours permanent à l’immigration conduit au contraire à une société ethniquement et religieusement plus ” colorée ” que ce que nous avons connu jusqu’à maintenant dans de larges parties de l’Europe. La politique décrite ici pour les familles et les femmes conduit en fin de compte à une société dans laquelle les rôles et les sphères, les chances et les fardeaux sont mieux répartis entre les sexes. D’un point de vue politique, il existe cependant un dilemme facilement identifiable. Le vieillissement de notre génération et les conséquences de ce développement sont aujourd’hui déjà bien prévisibles. Ce qu’il faudrait faire est également clair. Cependant, un grand nombre des stratégies citées ne sont pas particulièrement populaires et ont de forts opposants. Ceci a des conséquences fatales : la plupart d’entre nous ne considèrent pas aujourd’hui la société vieillissante et ses conséquences comme un problème à résoudre mais considèrent la plupart des solutions décrites ici comme étant le problème.
Published 14 June 2007
Original in German
Translated by
Caroline Segal
First published by Transit 32 (2006-2007) (German version)
Contributed by Transit © Rainer Münz /Transit / Eurozine
PDF/PRINTNewsletter
Subscribe to know what’s worth thinking about.