La Hongrie, 50 ans après la révolution

À la mémoire de Jean-Marie Domenach, et pour Paul Thibaud, d’Esprit, qui ont soutenu mon combat pour la vérité.

Le soulèvement du peuple hongrois a été écrasé par une intervention militaire de l’Union soviétique, en réponse aux principales revendications formulées par un large mouvement populaire dont l’avant-garde était formée par la jeunesse universitaire alliée à la jeunesse ouvrière : suppression de la censure, abolition du système du parti unique, élections libres, fin de l’occupation soviétique du pays, maintenue après la conclusion du traité de paix de 1946 auxquelles s’ajoutait la dénonciation du pacte de Varsovie, qui soumettait la Hongrie – de même que les autres pays d’Europe centrale, orientale et balkanique – à la domination soviétique.

Depuis lors, le pacte de Varsovie s’est effondré, avec le régime communiste dont il était la garantie militaire. À la suite d’élections libres, le système de la démocratie parlementaire a été adopté. En 1989-1990, l’État hongrois, tout comme les autres pays d’Europe centrale et orientale, a récupéré sa souveraineté sans effusion de sang. Du fait des concessions accordées par l’Union soviétique de Gorbatchev à l’Occident, la guerre froide livrée depuis 1947 a pratiquement cessé. Depuis lors, la Hongrie – comme la plupart des autres ex-satellites – a volontairement limité sa souveraineté récupérée par ses entrées dans l’alliance Atlantique d’abord, puis dans l’Union européenne. Ce fut un tournant dans l’histoire de l’Europe voire du monde à la fin du XXe siècle qui a marqué la disparition de la seule alternative au capitalisme et ouvrant la voie à la globalisation sous le contrôle de la superpuissance américaine.

Premiers craquements

La crise de l’Internationale communiste, fondement idéologique et organisationnel du camp dirigé par le super-État soviétique, dans lequel se trouvait insérée la Hongrie depuis 1949, a été déclenchée en fait par la mort de Staline le 5 mars 1953. Son effondrement est comparable à celui qui a bouleversé le continent européen à la suite de la désagrégation de l’Empire romain, qui a ouvert une longue période de chaos, suivie de la restructuration du continent.

La disparition du chef de cet empire eurasiatique sui generis, Staline – qui, vers la fin de sa vie, a réussi à concentrer entre ses mains le pouvoir de décision tant politique qu’économique, culturel et spirituel de son camp multinational, multiethnique et multireligieux – a marqué le début de la crise dont la révolution hongroise a été l’une des étapes les plus spectaculaires. C’est grâce à l’idéologie marxiste-léniniste dont Staline fit une doctrine impériale, que son autorité a pu prendre un caractère à prétention universelle, rivale de l’idéologie progressiste euro-atlantique issue du judéo-christianisme et du Siècle des lumières. Notons que tout en réservant le pouvoir décisionnel à son secrétariat personnel, soutenu par une police de sécurité exceptionnellement puissante, ainsi que par une armée superbement équipée et endoctrinée, le Premier secrétaire du PC de l’URSS et chef du gouvernement, Staline, avait confié la gestion des États européens soumis à des gouvernements dont les chefs étaient choisis parmi les nationalités ethniques de ces pays, théoriquement dans le respect de leurs traditions linguistiques, nationales et religieuses.

La centralisation organisationnelle dérivée du marxisme-léninisme, que l’écrivain britannique H. G. Wells comparait, déjà à ses débuts sous Lénine, à celle de la hiérarchie catholique romaine dominée par l’ordre des jésuites, prêtait à l’Union soviétique l’apparence d’un édifice d’une solidité extraordinaire et quasi parfaitement immunisée contre les forces d’érosion et d’éventuelles tentatives de dissidence. En même temps, il se trouvait dans le système, comme l’a dit un éminent confrère hongrois, Gyula Illyés, un élément dérisoire du règne d’un Ubu roi sanglant et dont la terreur, avec sa suprême puissance à violer les consciences personnelles et les aspirations économiques, culturelles, nationales et populaires des peuples si divers et hétérogènes, réussit à bien cacher au monde extérieur – et cela jusqu’à son écroulement inattendu – l’extrême vulnérabilité.

C’est donc comme un petit État-nation réduit à un statut de province satellite, que la Hongrie, soumise à cette réalité absurde d’empire ” idéocratique “, comme l’a nommé Raymond Aron, se trouvait affectée au printemps de 1953 par les effets du tremblement de terre politique et spirituel provoqué par la disparition de Staline. Ce qui dominait jusqu’alors les esprits, en Hongrie comme dans les autres pays satellites, ce fut un sentiment d’impuissance à l’égard du pouvoir monstrueux subi par des pays isolés du reste de l’Europe par ce que Churchill avait surnommé ” le rideau de fer ” et auquel ils paraissaient s’accommoder. Quant aux Occidentaux, ils paraissaient résignés à une division de l’Europe et se trouvaient à l’abri de toute extension nouvelle de l’Empire stalinien. La relative satisfaction des pays occidentaux euro-atlantiques avec le statut bipolaire du continent et du monde est un des facteurs dont il convient de tenir compte en examinant le développement et le sort de la révolution hongroise de 1956. L’équilibre de la terreur semblait garantir la paix et la sécurité, le statu quo qui permettait aux États occidentaux d’engager une intégration européenne inaugurée par le plan Marshall dont les pays européens de l’Est se trouvaient exclus par leur intégration au camp adverse.

C’est un sentiment d’incertitude et d’insécurité qui aura été la première réaction en Hongrie, comme dans les autres pays satellites, à la disparition de Staline.

Ce qui leur échappait, ainsi d’ailleurs qu’à la plupart des experts et observateurs occidentaux, c’était le désarroi dans lequel se trouveraient les héritiers de Staline devant la tâche qui leur incombait brusquement de gouverner, de maintenir l’extraordinaire héritage, dans l’administration duquel jusqu’alors ils n’avaient qu’une responsabilité bien limitée vue leur dépendance quasi absolue au pouvoir décisionnel du patron. Or, une fois surmonté l’émoi devant la disparition du Père Terrible dont ils devenaient orphelins, ils furent conduits inévitablement à affronter la réalité des dangers qui les menaçaient et contre lesquels il leur fallait trouver des moyens d’échapper sans une direction centrale. Or, le premier souci qu’il leur fallait affronter était celui de l’exploitation que pouvait faire l’ennemi occidental de leurs faux pas éventuels. Le premier danger étant la faille que pourrait faire apparaître leur éventuelle désunion. Un ” nouveau cours ” leur paraissait indispensable, à condition de ne pas menacer la cohésion du système. Les médias commençaient à parler des excès du culte de Staline et à signaler que celui-ci violait la méthode léniniste de ” la direction collective “. La décision de retour à Lénine était démontrée par l’élimination du plus ambitieux parmi les héritiers, Beria, chef de la sécurité, accusé par ses pairs d’avoir voulu usurper les pleins pouvoirs du chef disparu. Le deuxième souci des héritiers se reflétait dans la décision prise en commun de diminuer les tensions devenues trop aiguës entre l’Est et l’Ouest – par exemple celle, très complexe, qui était à l’origine de la guerre de Corée.

Enfin, la troisième urgence qui se trouvait sur l’agenda du praesidium, c’était de ” normaliser ” la situation dans les pays satellites dans lesquels la disparition de Staline suscitait le danger de troubles sociaux : ainsi en RDA, la plus jeune des républiques populaires, dans laquelle la séparation définitive du reste de l’Allemagne provoquait une fuite massive des habitants vers l’Ouest et une protestation ouvrière, rapidement réprimée par l’apparition des tanks soviétiques – puis en Pologne et en Hongrie, pays dans lesquels la bolchevisation accélérée en 1949 se poursuivait par des méthodes de terreur créant la menace de graves désordres. Sur ce point, les héritiers prenaient la décision de jeter du lest, voire d’engager sinon une réforme proprement dite du système, du moins de réveiller dans les populations l’espoir d’un ” nouveau cours ” moins glacialement déprimant que celui auquel ils furent soumis sous Staline. L’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg a donné le nom à cette tendance d’assouplissement du régime, qui rappelait le souvenir de la ” nouvelle politique économique ” (NEP) engagée par Lénine après la période horrifiante du communisme de guerre : ” le dégel “. Il a été mis en vigueur en URSS également, aussi discrètement que possible, en commençant par la dissolution des camps de goulag, en relâchant des centaines de milliers de prisonniers détenus sans aucune forme de procès, libérés à la condition qu’ils garderaient le silence total sur le traitement subi dans ce qu’on appelait des camps de travail.

Sur le plan culturel, le dégel consistait à encourager les écrivains, journalistes et artistes du Parti d’abandonner les contraintes du ” réalisme socialiste ” dont un écrivain hongrois, se servant de l’allégement de la censure, a pu dire qu’il n’était ni réaliste ni socialiste, mais mettait les scribes et les artistes au service de la propagande qui leur imposait l’obligation d’exalter les mérites des ” héros positifs “, c’est-à-dire des secrétaires du Parti qui faisaient le bonheur de leurs administrés et luttaient toujours avec succès contre les ” ennemis du peuple ” infiltrés dans les rangs du Parti. Des ordres étaient donnés à la même époque aux dirigeants satellites de procéder à des allégements de leur règne, en prenant toutes les précautions pour prévenir tous désordres. Le Kremlin leur recommanda la réhabilitation des victimes des purges et procès des années de la Terreur. C’est en suivant cette instruction qu’on procédait en Hongrie à la réhabilitation de l’ancien dirigeant du Parti, Làszlo Rajk, condamné à mort et exécuté en 1949, ainsi que de Jànos Kàdàr, ancien chef de la résistance anti-nazi, qui fut libéré en 1953 par Imre Nagy.

Il serait trop long de relater les difficultés rencontrées lors de l’introduction du nouveau cours en Allemagne de l’Est puis en Pologne où les soviétiques se voyaient obligés de recourir à l’armée afin de visualiser aux yeux des populations le sens limité des concessions appliquées. Nous en venons à notre propos essentiel, les événements de Hongrie où l’application du nouveau cours a été confiée par le praesidium de Moscou à un exilé hongrois expert agronome en la personne d’Imre Nagy – le seul dirigeant communiste en Hongrie qui y jouissait d’une vraie popularité pour avoir été en 1945 chargé, par l’armée rouge ” libératrice “, d’une réforme agraire mettant un terme à une oppression pluriséculaire de la paysannerie hongroise. On savait aussi de Nagy qu’il se trouvait en disgrâce à cause de son opposition, en 1949, à la collectivisation des terres, dont les paysans avaient pu prendre une possession personnelle quatre années auparavant.

Le programme de Nagy

J’ai signalé en juin 1953, dans un portrait tracé de Nagy, pour Le Monde, qu’il s’agissait là d’un bon choix à condition qu’on eût laissé à Imre Nagy (ancien boukhariniste qui avait miraculeusement échappé en URSS à la grande purge effectuée parmi les partisans de Boukharine, dans les années 1930) les mains libres pour faire valoir ses idées de réforme systématique de la politique agraire. C’est avec surprise qu’on entendait en Hongrie Imre Nagy, le 4 juillet 1953, prononcer au Parlement un discours dans lequel il fustigeait sévèrement le caractère essentiellement anti-humain et antipatriotique de la politique poursuivie jusqu’alors par son prédécesseur Màtàs Ràkosi. Le discours de Nagy surprenait non seulement son auditoire hongrois, par la vigueur et la hardiesse avec lesquelles il fustigeait ” la marche forcée vers l’industrialisation ” et annonçait l’inauguration d’un programme axé sur le relèvement du niveau de vie. Les apparatchiks communistes, qui formaient la majorité du Parlement, assistaient, les visages fermés, aux propos du nouveau président du Conseil qui leur assénait que

le développement de l’industrie lourde socialiste ne peut constituer un but en soi… Nous devons avancer sur la voie de la démocratie populaire et de l’industrialisation socialiste parallèlement à l’élévation constante du niveau de vie de la classe ouvrière. Il en résulte que la tâche essentielle du gouvernement doit être la réduction générale et considérable du rythme du développement de notre économie populaire et des investissements… Rien ne motive l’industrialisation exagérée… surtout si l’on ne dispose pas des ressources en matières premières nécessaires,

soulignait Imre Nagy calmement, sur le ton du professeur d’agronomie auquel il était habitué, ajoutant qu’il

faudra mettre davantage l’accent sur l’industrie légère et l’industrie alimentaire tout en diminuant considérablement le rythme du développement de l’industrie lourde et changer l’orientation de la politique agricole.

Trois ans avant la criminalisation de Staline par Krouchtchev au XX congrès du Parti communiste, les observations d’Imre Nagy sur la complète irrationalité de l’orientation économique imposée à la Hongrie ont été énoncées avec clarté. On peut cependant se demander, en relisant son discours, si le président du Conseil hongrois ne s’est pas trompé sur le sens des instructions qu’il avait rapportées de Moscou, sur les limites des concessions qu’il était autorisé à faire à la population agraire, afin d’apaiser son mécontentement croissant du fait du sort qu’on lui avait fait subir pendant les quatre années de pénurie et de terreur. Il déclara :

Les mesures exagérées prises à l’égard des Koulaks ont contribué également à diminuer les rendements de la terre.

Les paysans doivent être assurés qu’ils ne seront plus forcés d’entrer dans des coopératives… les coopératives dont la majorité des membres en éprouvent le désir pourront être dissoutes.

C’était incontestablement la condamnation posthume d’une des actions les plus désastreuses de Staline, celle qui avait provoqué la famine en Ukraine, autrefois un des greniers de l’Europe et qu’il avait imposée en 1949 par la force, dans les pays satellisés, à une exception près, la Pologne.

Faire renaître le petit commerce et l’artisanat, réduire les prix des produits alimentaires inconsidérément augmentés au cours des années précédentes, plus de liberté et de respect pour les intellectuels, plus grande tolérance envers les pratiques religieuses…

Dans le travail de nos organismes judiciaires et policiers, ainsi que dans celui des conseils locaux, le principe de la légalité n’a pas toujours prévalu

a-t-il dit. Nagy prononçait la condamnation de la politique de Ràkosi qui siégeait au premier rang de l’Assemblée, sur un ton calme et froid. C’est ainsi qu’il se vengeait des humiliations qu’il avait subies de la part de ses camarades du Parti qui le mettaient dans l’impossibilité d’empêcher de faire ce qu’il considérait comme des erreurs catastrophiques pour le pays. L’opinion publique dut se rendre bientôt compte de ce que les mains de Nagy étaient liées par l’obligation qui lui a été faite à Moscou, de coopérer avec Màtàs Ràkosi à qui l’on permettait de conserver son poste de secrétaire général du Parti, fonction qui dans la hiérarchie communiste précédait celle de Premier ministre.

Cependant Ràkosi, au cours des premiers mois suivant l’accès au pouvoir de Nagy, ne put ouvertement s’opposer à la réalisation par ce dernier de quelques mesures comme la dissolution des camps d’internement et de travail forcé qui, à l’époque, comptaient plus de 120 000 personnes arrêtées sans procès. Cette libération des prisonniers des camps en Hongrie, qui précédait celle des captifs en Union soviétique, était un événement formidable dans l’histoire du communisme, bien qu’elle n’ait été accompagnée d’aucune sanction contre les responsables. Les victimes libérées étaient obligées de coexister pacifiquement et sans indemnisation ni récrimination avec leurs juges et leurs geôliers.

Or ce printemps précoce, qui permettait aux Hongrois de respirer, ne dura que jusqu’au début de l’année 1955 ; un changement des rapports de force au sein du Kremlin, au détriment de Krouchtchev et en faveur des membres staliniens orthodoxes dont le chef de file fut Molotov, permettait à Ràkosi non seulement d’écarter Imre Nagy de la présidence du Conseil, mais aussi de l’exclure du Parti, sous l’accusation de ” déviationnisme opportuniste “. Certes, une pareille sanction à l’ère de Staline aurait été suivie de mesures policières et judiciaires : c’était quand même un fait nouveau que tout en étant soumis à des mesures de surveillance, Nagy a pu conserver une certaine liberté de mouvements et recevoir à son domicile des amis politiques et intellectuels qu’il s’était fait durant les deux ans de son gouvernement. D’autre part, les mains de Ràkosi restaient liées par les instructions de Moscou lui interdisant d’employer des mesures policières contre les partisans de Nagy. La présence continue de Krouchtchev au praesidium, malgré le désaveu de son protégé Nagy, les assurait quant au maintien de la directive, communiquée à tous les pays satellites, d’une certaine modération dans la conduite des affaires, sous le signe d’une ” légalité socialiste “.

Ce qui explique qu’en Hongrie – et simultanément en Pologne – dans l’appareil culturel, intellectuel et journalistique du Parti, l’absence de la terreur fit disparaître la peur qui dominait jusqu’alors dans les milieux d’écrivains, d’artistes, de chercheurs scientifiques. Ainsi la revue culturelle officielle du Parti hongrois, Irodalmi Ujsag (le journal littéraire) devenu le porte-parole de la déstalinisation, a pris de plus en plus de liberté pour dénoncer des erreurs policières et administratives du régime.

L’opposition communiste fut encouragée par l’orientation nouvelle prise prudemment par la politique étrangère du Kremlin, au sein duquel les partisans de Krouchtchev, porte-parole d’un dégel dans les relations avec l’Ouest, semblaient prévaloir. Le fait que Moscou eut consenti à abandonner sa position en Autriche en signant un traité d’État assurant à ce pays un statut de neutralité, a fait grande impression dans la Hongrie voisine et ancienne étroite alliée. Une autre mesure qui représentait une forte prise de distance par rapport au stalinisme, était la réconciliation avec la Yougoslavie de Tito marquée par une ” visite à Canossa ” effectuée à Belgrade par Krouchtchev. Tito n’était-il pas le porte-parole d’un internationalisme décentralisé, d’un socialisme concilié avec l’autonomie nationale ? Le conflit de Tito avec Staline, n’était-il pas dû au refus du chef yougoslave de reconnaître l’hégémonie de l’Union soviétique en échappant au contrôle policier que le maître du Kremlin a imposé à toutes les autres démocraties populaires ? Et la nouvelle direction du Kremlin a cherché à se rapprocher des pays du ” bloc des non-engagés ” dans la direction duquel, aux côtés de Nehru de l’Inde, de l’Égyptien Nasser, de l’Indonésien Soekarno, Tito avait pris une place trop éminente. Or, les pays de ce bloc s’affirmaient socialistes, tout en refusant de s’approprier le marxisme-léninisme stalinien, tenaient à l’écart de leur pays les partis communistes et essayaient de sauvegarder l’indépendance de leur État tant par rapport aux États-Unis que vis-à-vis du camp soviétique.

Ce qui a exercé une influence décisive sur l’opposition en Hongrie, c’était l’étonnant discours de Krouchtchev prononcé au XX congrès du Parti communiste en février 1956 (que nous avons déjà mentionné). Dans ce discours prononcé à huis clos, Krouchtchev, en sa qualité de premier secrétaire du Parti, a carrément fait le procès du Staline, tyran terroriste, qu’il accusait notamment d’avoir, sous de faux prétextes de trahison, exterminé, à l’issue des grands procès spectaculaires des années 1937-1939, pour ainsi dire toute l’ancienne garde bolchevique rassemblée autour de Lénine. Certes, Krouchtchev limitait le procès de Staline à ne le dénoncer qu’à cause de la mise à mort de tous ses rivaux et possibles opposants au sein de la direction du Parti communiste. Il évitait d’évoquer le mal fait aux paysans nommés ” Koulaks ” et ne dit mot des grandes purges organisées au sein de l’organisation d’État et de l’armée. Vu l’ampleur de l’effroi et de l’hostilité de la réaction suscitée par son discours dans l’appareil du Parti soviétique et chez les dirigeants de tous les pays satellites – même en Chine, Mao Zedong se fit reconnaître et aduler comme le Staline de l’Extrême-Orient –, Krouchtchev essayait d’atténuer l’effet de ses propos. Cela n’a pas évité que la dénonciation des crimes de Staline ait fragilisé tous les dictateurs des pays satellites européens et ceux, avec la Chine, de Corée du Nord et du Vietnam du Nord. On trouve dans le désaccord de Mao avec Krouchtchev la source des divergences qui le conduiront dans les années 1960 à une rupture idéologique et pratique avec l’Union soviétique.

Je reviens à la Hongrie : la première conséquence du discours de Krouchtchev fut la mise à l’écart de Ràkosi à qui Tito ne pardonna pas le zèle particulier qu’il manifestait dans la campagne anti-yougoslave lancée par Staline. La révocation de Ràkosi aurait été considérée comme un grand succès de l’opposition nagyiste, si le Kremlin n’avait commis alors une faute qui jouera un grand rôle dans les événements de l’automne 1956. Au lieu de donner suite aux aspirations de l’opinion publique de voir Imre Nagy réhabilité, et reconduit à la tête du pays, le Kremlin remplaça le secrétaire général du Parti universellement détesté par un dirigeant encore plus détesté que Ràkosi, Ernö Gerö. Notons que le Kremlin aurait mieux fait d’écouter les conseils de Tito qui suggérait alors de nommer pour le poste de chef de gouvernement ou du Parti Jànos Kàdàr en qui il voyait une victime du terrorisme stalinien – il ne fut libéré de prison qu’après la mort du tyran.

En Pologne, la direction du Parti communiste, avec à sa tête Edward Ochab, s’est décidée, en cédant à l’opinion publique en effervescence, à élire comme chef du Parti Gomulka, l’ancien secrétaire général, mis à l’écart en 1949 pour son opposition à la collectivisation de l’agriculture – sa position était tout à fait proche de celle d’Imre Nagy sur ce point –, et fit accepter ce choix par le praesidium soviétique. Ce faisant, elle a sauvé le pays de la tragédie dans laquelle l’aveuglement des communistes hongrois a plongé leur patrie.

L’insurrection

En effet, en Hongrie, les événements ont pris une tout autre tournure. Une manifestation de solidarité avec la Pologne, en honneur de l’élection de Gomulka, organisée à Budapest par la jeunesse estudiantine et sous l’égide de l’Union des écrivains – ayant pour but de présenter à la direction du Parti les revendications populaires semblables à celles qui venaient de triompher à Varsovie –, donna lieu, dans une étroite rue du centre ville, à des bagarres avec la police protégeant la Radio nationale. Une délégation des jeunes demanda la diffusion d’un manifeste en 15 points résumant les desiderata du peuple. Interdisant la diffusion du texte, Gerö prononça un discours menaçant et provocateur, qualifiant les manifestants de contre-révolutionnaires et de fascistes. Puis, la police politique convoquée pour disperser la manifestation ne suffisant pas à rétablir l’ordre, Gerö, essayant de sortir du bâtiment pour regagner le siège du Parti au risque d’être lynché par la foule, fit appel au chef de la garnison soviétique siégeant à proximité de la capitale. L’apparition des tanks soviétiques portait au comble l’exaspération de la foule grossie par la venue de jeunes ouvriers de la banlieue et de soldats désertant les casernes avec leurs armes.

C’est ainsi que l’aveuglement de Gerö transforma un mouvement animé par le désir de la réforme en bagarres gagnant la ville entière, puis les bagarres sporadiques en insurrection qui se répandait comme un énorme incendie de forêt touchant même la province. Il était déjà trop tard quand les dirigeants du Parti et de l’État se décidèrent à appeler Nagy au secours, car les insurgés ont attribué tout d’abord à celui-ci la responsabilité de l’appel aux troupes soviétiques. Il fallut plusieurs jours à Nagy pour amener les insurgés à cesser le combat et à venir à la table de négociation.

Les insurgés, qui s’appelaient combattants pour la liberté, ne se contentaient plus d’une satisfaction à leurs premières revendications : retour de Nagy, réforme du Parti communiste, liberté de la presse, suppression de la police politique. Imre Nagy se proposait de jouer le rôle d’un modérateur et d’un intermédiaire entre le peuple en armes et les autorités improvisées derrière lesquelles tout le monde voyait l’ombre des détenteurs véritables du pouvoir. Mais dans le déchaînement des combats, on a pu constater un ” défoulement des âmes ” qui, bousculant les barrières du réalisme politique, exprimaient les aspirations fondamentales de la nation à la liberté, à la démocratie, à la justice.

Et c’était là, dans le déchaînement de la passion de la liberté personnelle et collective, dans l’identité et l’unité nationales affirmées qu’on trouve le sens profond de la révolution hongroise de 1956.

J’ai souligné dans mon livre le caractère essentiellement éthique des événements de Budapest. Ce caractère lui a été donné par la nature de la personnalité d’Imre Nagy qui était beaucoup plus un moraliste qu’un homme politique. C’est comme tel qu’il s’est révélé dans le memorandum qu’il avait adressé après sa révocation en 1955 au comité central du Parti, et dans lequel il indiquait, comme le mal le plus grand provoqué dans son pays par la dictature staliniste de Ràkosi, ” la démoralisation de la société “.

Celle-ci, écrivait-il, détruisait toutes les vertus humaines et nobles qui dans uns société socialiste devaient être particulièrement chéries et cultivées : le courage, la sincérité, la fidélité aux principes, la stabilité des convictions. Au lieu de quoi, on a favorisé la lâcheté, l’hypocrisie, la servilité, la fausseté et l’opportunisme. La dégénérescence et la corruption de la vie publique ont conduit à la corruption des âmes et à la dégradation des caractères… c’est le carriérisme qui a proliféré en détruisant honneur et honnêteté, une atmosphère de méfiance, de suspicion, de haine et de vengeance prédominait dans les âmes et l’humanisme qui devrait être le trait caractéristique du socialisme a été réprimé. Une froide inhumanité domine dans les réactions publiques.

La révolution hongroise, en effet, avait le mérite historique de faire éclater les mensonges du totalitarisme quasi colonisateur : la simulation de la popularité alors que le régime était incapable de se rendre vraiment populaire – le mensonge de la dictature du prolétariat alors que les conseils ouvriers qui ont surgi dans tout le pays pour prendre la direction des grandes entreprises, ont réclamé la démocratie, des élections libres, le pluripartisme, le parlementarisme.

Le Parti, l’idéologie communiste, disparurent dans la tourmente. Ce fut un réveil explosif du patriotisme qui enlevait toutes les barrières de classe et de préjugés sociaux et outrepassait toute considération de prudence et de réalisme ; les insurgés encouragés par la faiblesse de la résistance opposée par les tanks vulnérables aux ” coktails molotov ” formulaient des exigences impossibles à réaliser dans l’état des rapports de force internationaux du moment. Réclamer l’octroi de la souveraineté, l’indépendance de l’État voire la neutralité, revendications qu’Imre Nagy avait cru pouvoir accepter en espérant l’accord des dirigeants soviétiques, s’avérait être un non-sens vu le danger qu’elles recélaient pour la cohésion de l’Union soviétique. D’ailleurs même les États-Unis et les démocraties d’Europe occidentale, qui voyaient d’un bon ¦il le processus de déstalinisation de l’URSS et de ses satellites, n’allaient pas jusqu’à imaginer une conversion totale des régimes communistes aux principes directeurs d’un régime démocratique. On en était, dans l’Europe de 1956, à l’étape où l’on favorisait l’idée de la convergence et de la cohabitation pacifique et coopérative du capitalisme démocratique et d’un communisme déstalinisé. Dans ce sens, on a pu qualifier les combattants hongrois pour la liberté d’utopistes, voire d’insensés. On ne saurait oublier que des milliers de jeunes étudiants et ouvriers et beaucoup d’adultes ont versé leur sang pour l’utopie de l’indépendance et de la souveraineté nationale retrouvée et c’est cet esprit de sacrifice pour la liberté qui a attiré à l’époque les sympathies de l’opinion publique, notamment en Italie et en France, en y ébranlant le mythe d’une Union soviétique, pays modèle du socialisme du présent et de l’avenir. Les témoins et les observateurs des événements de Budapest et de la Hongrie évoqueront avec émotion le souvenir des quelques jours précédant l’intervention soviétique, pendant lesquels le peuple hongrois avait espéré arriver à une conclusion heureuse du drame.

S’étant libéré du contrôle de l’équipe Gerö qu’il subissait jusqu’au 28 octobre à la centrale du Parti et en déménageant dans son bureau au Parlement, Imre Nagy a pris aussitôt contact avec les envoyés des différents comités et groupes révolutionnaires qu’il avait reconnus comme interlocuteurs ; ils l’ont informé de leurs revendications, de la satisfaction desquelles ils faisaient dépendre leur participation au rétablissement de l’ordre. C’étaient des discussions éprouvantes dans l’intervalle desquelles Imre Nagy s’est vu obligé de négocier avec les envoyés du Kremlin arrivés dès la nuit du 24 octobre à Budapest, qu’il tâchait de persuader qu’il serait capable de normaliser la situation dans le cadre d’un compromis satisfaisant pour le Kremlin, maintenant avant tout l’exigence unanime des insurgés relative au retrait de toutes les troupes soviétiques de Budapest et de ses environs. Les envoyés soviétiques se montraient d’accord pour le satisfaire. Le 28, Imre Nagy a reconnu dans un discours passionné la légitimité des revendications de démocratisations formulées par la jeunesse manifestante le 23 octobre. Imre Nagy a réussi à obtenir l’adhésion du nationaliste modéré Istvan Bibo et de plusieurs hommes politiques du Parti des petits propriétaires et du parti social-démocrate réorganisé en hâte, ainsi que l’appui de Jànos Kàdàr et du philosophe communiste György Lukàcs considérés comme gages de la démocratisation du système, autant de signes rassurants d’une solution de compromis.

Deux jours plus tard, l’ambassadeur soviétique Youri Andropov remettait à Imre Nagy une importante déclaration de son gouvernement, qui semblait entériner une solution pacifique et confirmer son accord pour un retrait de ses troupes :

Vu que le maintien des troupes soviétiques en Hongrie peut servir de prétexte pour empêcher la stabilisation du pouvoir en Hongrie, le gouvernement soviétique donne aussitôt l’ordre de les retirer de Budapest si le gouvernement hongrois en exprime le désir,

y lisait-on.

Aussi, le même jour, Imre Nagy, détendu, crut pouvoir annoncer le rétablissement du multipartisme et le retour à un système de gouvernement basé sur une coopération démocratique des partis de coalition, tels qu’ils avaient existé en 1945. Dans un discours improvisé à destination des diverses délégations arrivées au Parlement, il déclara, profondément ému :

Le combat révolutionnaire dont vous avez été les héros a triomphé. C’est le résultat de cette victoire qui est à la base du gouvernement démocratique que je viens de former… Nous ne tolérerons plus aucune intervention dans les affaires intérieures de notre pays. Nos rapports avec l’Union soviétique seront basés désormais sur l’égalité des droits, de la souveraineté nationale et la non-intervention dans notre politique. Nous vivons, chers amis, les premiers jours de notre souveraineté, de la victoire de notre indépendance. Nous avons balayé du pays la bande Ràkosi-Gerö responsable des crimes incommensurables pour lesquels la justice seule leur demandera des comptes. On a essayé de me dénigrer en m’accusant d’avoir appelé les troupes soviétiques dans le pays, ce qui est absolument faux.

Peu après ce discours, Nagy reçut les journalistes étrangers en se montrant d’un optimisme incroyable. Il affirmait que la Hongrie aurait désormais la possibilité de sortir du Pacte de Varsovie, et de faire du pays le noyau d’un espace neutre en Europe centrale. Il déclara même que le gouvernement envisagerait la reconnaissance par la Hongrie de la République fédérale allemande, que l’on savait boycottée par l’ensemble des pays communistes. En à peine 48 heures, l’euphorie s’empara de tout le pays. Les armes se sont tues et le gouvernement commençait son fonctionnement. Des conseils ouvriers des grandes usines annonçaient préparer la reprise du travail.

Or, en fin de journée, d’inquiétantes informations parvenaient à Imre Nagy, qui paraissaient démentir la vision du ciel dégagé de ses lourds nuages, qu’il venait de communiquer au pays. Ces informations étaient confirmées par les gardes-frontières qui signalaient une concentration de troupes soviétiques à Zàhony (Ukraine soviétique). Interrogé par Nagy, Andropov rassurait le gouvernement, affirmant qu’il s’agissait d’une unité chargée de rapatrier les blessés soviétiques de ces derniers jours. Jànos Kàdàr fut envoyé à l’ambassade soviétique afin de clarifier la situation. Il n’en revint pas.

On sait à présent, grâce à des archives soviétiques communiquées au gouvernement hongrois 34 années plus tard par Eltsine, que pendant les derniers jours, nonobstant la publication de sa déclaration citée plus haut, la majorité stalinienne du praesidium soviétique a penché vers l’intervention. Le chef de l’armée soviétique, membre du praesidium, se disait convaincu qu’Imre Nagy jouait double jeu. Il affirmait savoir qu’un gouvernement de transition contre-révolutionnaire venait d’être formé en Hongrie. Krouchtchev cessa de défendre l’option de la solution politique. Il ne s’opposait plus à l’intervention et se préoccupait seulement – après s’être assuré que les États-Unis considéreraient le règlement de ces problèmes comme une ” affaire de famille ” de l’URSS – de trouver une formule qui la ferait apparaître comme un compromis. Il crut nécessaire de prévenir Gomulka et Tito pour obtenir leur acquis. Après l’accord de la Pologne, il se rendait en secret à Brioni, en Croatie, pour persuader son ami le maréchal Tito de la nécessité d’employer la force pour retenir la Hongrie dans le camp de Varsovie.

On savait que Tito, au début du soulèvement, se montrait favorable au réformisme de Nagy, mais le tournant opéré par celui-ci en la direction du multipartisme le fit changer d’avis, par la crainte d’en subir des retombées en Yougoslavie. Krouchtchev le rassurait que l’intervention ne modifierait en rien les principes de la politique tels qu’il les avait affirmés au XX congrès, que l’Union soviétique ne songerait pas à une restauration du pouvoir de Ràkosi et de son groupe en Hongrie, qu’il avait l’espoir d’obtenir la coopération de Jànos Kàdàr à qui il demanderait de remplacer Imre Nagy en formant un gouvernement prêt à légitimer l’action soviétique. Après le rétablissement de l’ordre et le désarmement de l’insurrection, il garantissait que Kàdàr reprendrait à son compte les réformes annoncées par Nagy, moins la neutralité, l’indépendance et la sortie du camp de Varsovie. Ayant obtenu l’accord de Tito, Krouchtchev et son compagnon Malenkov rentraient à Moscou où ils trouvèrent Kàdàr, amené de force, au terme d’un scénario que Brejnev reprendra à son compte en 1968 à l’encontre de Dubcek.

Sur le comportement de Kàdàr, les opinions des historiens hongrois continuent à diverger. Selon les documents soviétiques, il essaya de défendre devant le praesidium – qui l’entendait comme témoin en lui faisant savoir qu’il pouvait être accusé – ce qu’il considérait encore comme une révolution légitime contre la tyrannie de Ràkosi. Cependant le lendemain, sans doute après s’être entendu avec Krouchtchev, il finit par admettre qu’il y avait peu de chances pour que Nagy puisse encore maîtriser les éléments contre-révolutionnaires en train de prendre le dessus, en province et en Hongrie occidentale. Était-ce par peur de représailles qu’il pouvait craindre, en cas de refus d’une volte-face ? On trouve dans le passé de Kàdàr de telles défaillances – en particulier dans sa conduite en 1949 dans l’affaire Rajk qu’il chercha à convaincre dans sa cellule d’avouer, en bon communiste qu’il affirmait être, tous ses ” crimes ” de conspiration avec Tito. Dans la conduite de Kàdàr après sa libération de la prison où par la suite il fut confiné, après avoir été torturé, on trouvait également des éléments qui permettaient aux réformateurs du groupe Nagy de douter de son caractère. On connaissait aussi l’ambition qui le dévorait, on peut également imaginer qu’il en voulait à Nagy pour l’avoir entraîné dans la désobéissance au Kremlin auquel il était corps et âme dévoué. En effet, selon Tibor Méray, à qui l’on doit un livre remarquable sur Imre Nagy, on peut conclure de l’étude des archives hongroises que dès son retour en Hongrie, il se montrait animé à l’égard de Nagy d’une haine féroce, se joignant à ceux qui souhaitaient un châtiment exemplaire pour frapper un communiste qui a choisi contre la fidélité ac cadaver à une idéologie internationaliste dont Staline a fait une couverture de son impérialisme totalitaire – de se solidariser avec son peuple, avec la nation. On peut certes octroyer à Kàdàr la circonstance atténuante d’avoir par la suite – il est vrai avec l’autorisation de Krouchtchev – poursuivi une politique qui assurait à son pays une situation économique et culturelle bien plus viable que celle qui était imposée aux autres pays satellites. Ne réussit-il pas à faire croire sinon à la majorité, du moins à de nombreux Hongrois, en particulier aux paysans, que sa politique représentait pour la Hongrie un ” moindre mal ” que n’eût été la restauration du pouvoir de Ràkosi, dont Molotov et ses compagnons menaçaient le pays ? C’est pourquoi certains historiens réclament pour lui la reconnaissance comme un grand homme d’État réaliste, en opposition à l’idéalisme moraliste d’Imre Nagy. Je n’irai pas aussi loin dans la voie de la compréhension ou du pardon.

Tournons plutôt nos regards vers la figure tragique de Nagy qui – à l’heure du choix – optait clairement pour la solidarité avec son peuple qui retrouvait l’unité nationale dans le combat pour son droit à la liberté et à la démocratie.

D’un point de vue global de l’histoire, on peut considérer l’insurrection d’un peuple modeste d’Europe centrale contre un régime arbitraire qui lui était imposé comme un avatar dans l’histoire d’un empire soviétique à la recherche d’un nouvel équilibre à la suite du décès de Staline. Cependant, pour l’élite du monde occidental, pour la gauche non communiste et communiste, les combats de Budapest reflétés par l’écran de télévision, et largement commentés par la presse, avaient produit le choc d’une révélation, celle du caractère essentiellement policier, répressif, exploiteur du régime soviétique. Avec la démolition de la statue de Staline, c’est le mythe du communisme libérateur des peuples qui a reçu une blessure à ne plus en guérir. C’était l’émotion de l’heure de vérité sur ” le socialisme réel “, sur la supériorité – malgré tous ses défauts – de la manière occidentale de vivre et de produire. C’était là le message de 1956, devant lequel les chefs d’États occidentaux viendront s’incliner le 23 octobre 2006.

Ce texte constitue la préface à la seconde édition italienne de son livre sur la Tragédie hongroise écrit en 1956.

Published 25 October 2006
Original in French
First published by Esprit 10/2006

Contributed by Esprit © François Fejtö / Esprit / Eurozine

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